Pour notre Wallonie, seuls comptent demain et les après demain (J.-J Merlot (1959))
Dans le cadre de la publication prochaine, en France, d’un livre sur l’histoire de la Wallonie, les auteurs m’ont demandé de me livrer à un petit exercice de prospective. Ce qui peut sembler paradoxal en posface d’un livre traitant du passé. Pourtant, j’imagine qu’en terminant la lecture de cet ouvrage, le lecteur aura compris que la construction de l’entité politique appelée « Wallonie » n’a pas ressemblé à un long fleuve tranquille et que son histoire est loin d’être terminée. Pays de marches appartenant naturellement au monde latin et français (1), mais écartelé par les turbulences politiques de l’Histoire, la consécration d’une identité politique, finalement assez récente à l’échelle des nations européennes, est le résultat d’une conviction forte portée par le Mouvement wallon depuis plus d’un siècle. Une des caractéristiques essentielle de cette identité qui en montre toute l’essence démocratique, c’est celle du respect de l’originalité des deux peuples et des trois régions (auxquels il faut maintenant et fort logiquement ajouter la région germanophone) qui ont composé jusqu’ici la Belgique. Un nationalisme d’exclusion n’a jamais existé en Wallonie. L’autre caractéristique, sans rien occulter, c’est la capacité de dépassement des clivages idéologiques qui a permis de forger ce projet d’entité politique originale. Finalement, l’expérience du fédéralisme, certes incomplet, inabouti et surtout hybride, aura permis de faire naître une société wallonne.
Certes, l’Histoire ne justifiera jamais le présent, mais permet de le comprendre. L’histoire du pays wallon ayant été occultée par le besoin de création, puis de consolidation d’un nationalisme belge, ce livre, par la démarche originale qui a guidé ses auteurs, viendra bien à point en complément de la déconstruction d’une certaine mythologie belge depuis Léopold Génicot (2) en 1973.
La pérennité de la Belgique étant, de fait, mise en question par la coexistence de plusieurs nationalités concurrentes sur un même territoire, si ce qu’écrivait Antoine Prost (3): « une société sans histoire est incapable de projet », la Wallonie a bel et bien une histoire. Il reste à définir - sans conception finaliste - un projet d’avenir comme espace politique sans sous-régionalisme et sans repli. Question difficile qui appelle une réponse plus complexe encore : « Notre combat est d’abord un combat contre nous-mêmes » écrivait François Perin en 1971 (4)…
Et, en effet, quels sont les choix d’avenir possibles pour la Wallonie et les Wallons ?
Constatons d’abord, que près de soixante-dix ans après le Congrès national wallon de Liège (5), le débat institutionnel est loin d’être terminé… Néanmoins, il est logique de se demander dans quelle mesure, la Wallonie sera partie prenante du « réveil des peuples européens » auquel nous assistons, de l’Ecosse à la Catalogne ou du Pays Basque à la Flandre ?
C’est que la Belgique, ainsi que les environnements économiques et politiques internationaux ont tellement changé depuis 1945 qu’un éventail de possibles restreint s’offre aux Wallons.
A l’extérieur, une Union Européenne économique dicte ses lois aux nations jadis souveraines. Des institutions financières dictent leurs conditions et imposent des plans d’austérité aux populations, à cause du spectre d’une faillite des banques et des pays. En interne, depuis « l’affaire royale », et alors que paradoxalement, la décentralisation est dépassée par la Loi, le régime belge s’est renforcé dans les esprits (wallons et bruxellois francophones…) grâce à la disparition de la presse d’opinion, l’omniprésence et le conformisme de la presse radiotélévisée (6) et enfin la concentration des médias à Bruxelles.
Surtout, le fédéralisme – et on peu discuter à perdre haleine de ses réussites et de ses échecs – est passé par là. Il aura été utile en termes de redressement de l’économie régionale, son bilan restera plus que mitigé en matière de « communautarisation » puisque cette politique aura abouti à polariser le débat ethnique sur base linguistique. Au point d’obérer les identités régionales dans ce qu’il est convenu d’appeler « la Fédération Wallonie-Bruxelles » oubliant que comme le disait Fernand Schreurs : « Les Wallons ne sont pas de simples francophones. Un francophone est un homme qui s’exprime en français, sans plus ». Ajoutant : « Ce que les Wallons ont en plus, c‘est l’intégrité française (7) ». Gommant même l’existence des Flamands de Bruxelles, complètement mis hors jeu dans ce débat…
Cette fédération porte en elle les germes de la rupture définitive du « pacte des Belges » laborieusement élaboré depuis les premières les lois linguistiques de 1873. Elle montre, en tous cas, que les partis francophones ont intégré et se préparent à la scission de l’Etat belge dont cette Fédération constituerait le résidu. A moins qu’il ne s’agisse que d’un exercice de musculation destiné à apparaître en position de force dans la crise de nationalités qui s’est ouverte depuis les élections du 13 juin 2010… ou, paradoxalement, en défendant leur programme, les partis flamands qui maintiennent leurs revendications de participer à la gestion de Bruxelles contribuent à la « non-évaporation » de la Belgique.
Alors qu’un nationalisme francophone tout aussi artificiel (8) est venu épauler le nationalisme belge face à une nation flamande en devenir, tous deux exacerbés, la Wallonie peut-elle envisager un avenir serein ?
Le fédéralisme a montré ses limites face à une Flandre qui appelle clairement à une alternative.
Alors ? Quel avenir et dans quel cadre ? Evaporation, métamorphose ou quoi d’autre ?
Paradoxalement, la crise politique semble replacer la Wallonie devant certains choix du Congrès national wallon de 1945. Réunion à la France, indépendance… ou confédéralisme ?
Le confédéralisme, dernière chance ?
Même si, en terme de prospective, il est aujourd’hui très difficile d’imaginer une vision commune de la Belgique du futur proche, où les institutions seraient normalement là pour appuyer un projet de société, un « vivre-ensemble commun. Rappelant que depuis des années, les relations entre communauté et Régions se sont structurées, institutionnalisées, il ne faut pas écarter d’un revers de manche l’hypothèse d’une solution pacifique, certes difficile à concevoir ou compliquée à mettre en œuvre, mais pragmatique comme le confédéralisme. La clé de la « paix des belges », en respectant les acquis des décennies précédentes, une réforme institutionnelle transparente, simple et cohérente aboutissant à une refondation du pays sur base de quatre Etats-Régions égaux en compétence et en droit, où chacun est partenaire de l'autre et non ennemi, permettrait de sortir des ressentiments, linguistiques ou ethniques. En objectivant des territoires politiques sur base d’espaces définis comme c’est le cas partout en Europe. Le territoire déterminant la citoyenneté, pas la langue. Evidemment, il faudra du courage pour changer de discours, mais ce serait en finir avec les combats symboliques. Qui peut croire en ce mois de juin 2011 que c’est encore vraiment possible ?
Si on poursuit la logique d’affrontement, la guerre civile froide, qui oppose les communautés et Régions, il reste à trouver un avenir en dehors de la Belgique. La stratégie de l’autre Belgique, ou Belgique continuée, étant vouée à l’échec par la stratégie géopolitique qu’elle sous-tend. Comment ne pas être sidéré par les propos de leaders politiques francophones annonçant que dans la « nouvelle Belgique », l’enseignement flamand à Bruxelles sera fusionné avec l’enseignement « francophone » ? Que les Flamands ne sont désormais plus des adversaires mais des ennemis politiques (9) ? Que s’ils veulent quitter la Belgique, ils devront rapatrier leurs institutions dans les trois mois… sans transformer Bruxelles et sa périphérie en un Sarajevo ?
Sans compter que, tant sociologiquement qu’économiquement, les sensibilités, les besoins sont différents entre les deux régions et que si nous voulons créer toutes les conditions du renouveau de la Wallonie, nous devons maîtriser toutes les fonctions sociales, à commencer par l’enseignement et la culture. Ce qui est difficilement conciliable avec la logique communautaire qui n’est qu’une abstraction « qui se met à faire de la politique » (10). Enfin, devant le lot de difficultés financières héritées de le partage de la dette belge, la solidarité dont se targuent les promoteurs de ce projet s’étant évanouie avec le départ de la Flandre, ce sont les facteurs de division, jusqu’ici laissés de côté, qui risquent de faire surface.
En dehors de la Belgique, en toute légitimité ?
L’énorme différence avec 1945, c’est que la Wallonie dispose maintenant d’un Parlement légitime, représentatif, élu séparément et directement. Jouissant ainsi de la pleine souveraineté et qui peut décider de se donner la capacité juridique de prendre les décisions institutionnelles engageant l’avenir du Peuple wallon. Cette affirmation politique ne pourrait qu’être reconnue internationalement.
Rationnellement, et en écartant les délires farfelus de type reconstruction des Etats bourguignons ou des anciens Pays Bas, le choix se limiterait à deux possibilités, une union (d’un type à définir) avec un pays voisin accueillant ou l’indépendance.
Un voisin accueillant ?
Excluons d’emblée deux hypothèses qui ont parfois été évoquées : le rattachement à la République fédérale d’Allemagne ou le rattachement au Grand Duché de Luxembourg. L’une comme l’autre ont été réfutées par les responsables politiques de ces deux pays. Tacitement pour la première, publiquement pour la seconde.
Historiquement, la construction de l’identité wallonne jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale a été indissociable de la relation que le Mouvement wallon a entretenue avec la France tant en matière de défense que d’économie. Depuis, certes, les choses ont évolué, mais avec curiosité, maladresse parfois, les médias français essayent d’expliquer ce que la plupart des Belges ne comprennent pas eux-mêmes. L’enjeu est de taille. Un Etat européen voisin, en partie francophone, en principe allié, réputé jusqu’ici politiquement stable si pas conservateur, économiquement évolué, risque de disparaître. Si pas complètement, en tous cas dans sa forme actuelle. Pour la France, les conséquences peuvent être aussi importantes que pour nous.
Cette hypothèse pose logiquement les questions du type de relations que nous pourrions avoir avec la France.
Quels pourraient être les statuts la Wallonie et Bruxelles dans cet Etat que l’on dit « centralisateur à un degré névrotique » ?
L’Histoire nous éclaire. En 1919, l’Alsace et la Lorraine ont réintégré la République, et gardé un certain nombre de dispositions de droit allemand qui étaient favorable et qui sont toujours d’actualité : droit sur la faillite personnelle (depuis élargi à tout le territoire), traitement des membres des clergés, dispositions particulières sur les langues locales (De vraies facilités en quelques sorte…). Pour le reste c’est le Droit français, plus favorable qui s’applique.
Depuis, la Loi de Décentralisation de 1982 a organisé un transfert de compétences de l’État à des institutions distinctes de lui : les collectivités territoriales, parmi lesquelles les régions. Celles-ci bénéficient ainsi d’un pouvoir politique, une certaine autonomie de décision et de leur propre budget (principe de libre administration). Sous la surveillance d’un représentant de l’État (l’autorité de tutelle) qui n’est pas un supérieur hiérarchique, mais vérifie simplement la légalité des actes émis par ces collectivités.
Toutes les régions n’ont pas le même statut. La Corse (on nous prédit souvent une vocation à devenir des « Corses du Nord »…) a acquis un statut spécial, avec une Assemblée détenant des pouvoirs plus élargis que les autres régions, dotée d’un exécutif doté aux larges responsabilités qui dirige l’action de la collectivité. Un mécanisme permet à l’Assemblée de Corse de mettre en cause la responsabilité du conseil exécutif. Le conseil économique et social s’y est vu reconnaître une vocation culturelle. Actuellement, c’est le seul en France métropolitaine. Des compétences, qui feraient même rêver… la Flandre, ont ainsi été transférées à cette collectivité territoriale, dans des domaines très variés : éducation, communication, culture et environnement, aménagement du territoire, aides au développement économique, agriculture, tourisme, industrie, logement, transports, formation professionnelle, etc… Le conseil régional est aussi l'interlocuteur et le partenaire de l'État pour les programmes importants et de longue durée.
Certes, contrairement à nos décrets ou ordonnances, aucune de ces entités ne possède, jusqu’à présent, de compétence législative. Seul le Parlement vote les lois de la Nation; et seul le gouvernement conduit la politique de la République. Mais ça a le mérite de la clarté et d’éviter les conflits de compétences que nous connaissons.
La Constitution protège les droits personnels (11). Ce découpage administratif en régions et en collectivités d’outre-mer (anciens DOM-TOM) n'a pas été réalisé de manière purement arbitraire : il respecte, tant que faire se peut, les identités culturelles, témoins du passé, de l'histoire. La Bretagne, par exemple, a une identité très forte, liée aux péripéties de l'histoire…
Les statuts des régions leur sont adaptés. Il en va ainsi, pour l’exemple, de toute la palette des collectivités d’outre-mer, avec la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna - qui ont trois rois qui gouvernent et sont… rémunérés par l’Etat français (!) ou la Polynésie devenue complètement autonome et dont les liens avec la France se limitent pratiquement à recevoir le chèque de son budget de fonctionnement…
En France, ces particularismes ne posent pas, ou si peu, de problèmes ni de déséquilibres et personne n’y trouve à redire ou revendiquer.
Les Wallons auraient ainsi à leur disposition un large choix de possibilité respectant leurs sensibilités.
On pourrait craindre que faire entrer la Wallonie au sein de la République, c’est ouvrir la boîte de Pandore d’un fédéralisme centrifuge pour les régions des marches de France. Mais ce risque est-il vraiment si important ou ne serait-ce qu’un chiffon rouge ? Nul doute que le risque, négligeable pour qui est informé, a été évalué. Les marques d’intérêt « officieuses » affichées par les voltigeurs des médias proches du pouvoir ressemblaient plutôt à des signaux.
Les médias (et dirigeants) français sortiraient-ils du syndrome de Waterloo qui les a empêchés jusqu’ici de s’intéresser à ce qui se passe à un peu plus de 200 km de Paris ? Syndrome né de la volonté des despotes d’ancien régime de confiner le Peuple de France dans ses frontières d’avant 1789.
Concrètement, la Constitution française prévoit une procédure de referendum pour l’association de nouveaux territoires (12). Ensuite, les ressources et l'ingéniosité (la créativité) institutionnelle permettra d'accorder un statut qui satisfera les deux (ou trois, n'oublions pas Bruxelles !) partenaires. Association, absorption, association avec intégration progressive, etc... Beaucoup de choses sont possibles en conservant toute l'armature administrative et réglementaire qui conditionne notre quotidien (13).
Mais, la France accepterait-elle une « Wallonie sinistrée » ?
Les scénarii financiers catastrophes sur le séparatisme se basent sur une hypothèse des deux ou trois Etats distincts dans un cadre territorial d’une future ex-Belgique « isolée du reste du monde ». Cet exercice est limitant et orienté. Car enfin, soyons sérieux, la Wallonie, ce n’est quand même pas le tiers monde ! Nous avons surtout un problème de gouvernance et ne sommes « pauvres » qu’en comparaison avec la Flandre qui est-elle, relativement riche. Par rapport à un PIB européen moyen de 100, la Flandre se situe à 123 tandis que la Wallonie est à 90. La Flandre est précédée d'autres, comme le Bade-Wurtemberg, le Pays basque espagnol, la Lombardie, la Bavière, la Catalogne ou l'Irlande (14). Michel Quévit dans l’Echo du 31/08/2007 se demandait « si la stratégie actuelle de la Flandre ne consiste pas à récupérer les moyens financiers qui lui permettraient d’intégrer le peloton de tête européen » ? Ce qui expliquerait pourquoi la pression flamande porte surtout sur des compétences à incidence financière »…
Il faudrait aussi expliquer un jour, comment la Flandre en est arrivée là en détournant beaucoup de moyens à son profit depuis 1945…(15) Y compris, comme le fait encore remarquer Quévit grâce à la rigidité du principe de péréquation financière. Cette péréquation qui fait que dans d’autres pays démocratiques, les entités fédérées riches contribuent au développement des entités plus pauvres. La clé de répartition (60/40) bétonnée dans les lois de financement est anormalement rigide à la différence du modèle allemand par exemple, où les Länder contribuent au pot commun en fonction de leur croissance économique respective. Dans tout Etat, les régions riches contribuent ainsi au développement des régions moins riches au prorata de la richesse qu'elles créent. C'est le fondement même de la solidarité. Sauf en Belgique… Ce contingentement de la solidarité « à la belge » est une des causes peu citée et donc peu connue, mais essentielle du retard (qui est plutôt du «mal-développement») qu’on ne rattrape que lentement sur les autres régions européennes de vieilles industrialisations comparables.
Wallonie pauvre, vraiment ? Elio Di Rupo, alors ministre président de la Région wallonne, publiait ceci en 2006 : « A l’échelle de la France, le PIB de la Wallonie la placerait au 8ème rang des 22 régions françaises et au 3ème en matière d’exportations, juste derrière l’Ile-de-France et la région Rhône-Alpes. En termes d’emplois, les groupes français occupent la 1ère place avec 34.000 postes, soit 32 % des 100 premières entreprises industrielles en Wallonie. La France est, de très loin notre 1er client avec quasi 35 % du total des exportations wallonnes. Notre intégration est du point de vue économique est très avancée... On ne le dit pas assez »
On le voit, une telle opération présenterait des avantages aussi bien pour l’une que pour l’autre partie. L’adossement de la Wallonie à un Etat relativement puissant prémunirait évidemment la population contre la précarisation du niveau de vie consécutive à la dislocation des liens sociaux lors de la disparition de la Belgique. Mais, avec les équipements, les talents et la situation stratégique dont elle dispose, la Wallonie a tous les atouts pour être une des plus performantes régions d'Europe. L’atonie économique dont elle est en train de sortir n’est qu'un effet du contexte particratique belge dysfonctionnel.
Pour la République française, le sacrifice financier et budgétaire que l’adhésion de la Wallonie impliquerait serait compensé par le renforcement de sa position au sein de l’Union européenne et dans les enceintes internationales.
Mais cette hypothèse est - actuellement - probablement la moins réaliste politiquement pour la raison très simple que la plupart des dirigeants politiques wallons seraient très peu enclins à favoriser cette solution… qui remettrait en cause leurs pouvoirs. Sans oublier les craintes plus psychologiques ou sentimentales induites par près de deux siècle d’enseignement d’histoire de Belgique qui s’est caractérisée par un distanciement de ce qui est français.
Et si la Wallonie a les atouts pour être une des régions d'Europe les plus performantes, pourquoi pas l’indépendance ?
Il existe, en effet, à côté de celle de la France, une voie qui n’a pas été essayée et est rarement évoquée par les politiques or, « il n’est pas démontré qu’un peuple de nationalité française ne puisse atteindre à la plénitude de sa vie nationale sans faire partie de l’Etat français »(16) comme l’écrivait Arille Carlier en 1938.
Les arguments ci-dessus en faveur d’une intégration économique dans la République peuvent parfaitement venir en appui de cette autre voie d’avenir possible.
Une Wallonie disposant d’une situation géostratégique exceptionnelle et unique dans l’espace européen, sûre de son identité et maîtresse de ses moyens pourrait œuvrer à une coopération équilibrée avec les Régions et États voisins tout en s’intégrant aisément dans la communauté internationale.
On entend souvent dire que la Wallonie aurait des difficultés à s'en sortir seule. Les chiffres avancés pour le prouver sont pourtant contestables. Ils projettent une situation actuelle dans le futur sans jamais tenir compte, ni des variables nécessairement liées à une refonte du paysage institutionnel, ni que nous vivons dans un ensemble intégré, l’Union européenne. Il faut cesser de croire que c'est une région désastreusement incompétente. A titre de comparaison, en Allemagne, elle serait plus au moins au milieu du classement de Länder, et on a pu lire ci-dessus qu’il en irait de même en France.
Certes, si ce choix était fait, rien ne serait simple. Sans parler du modèle d'assistés dont on nous a affublés, le contexte international est dominé par les exigences des institutions financières et le poids de la dette publique belge qu’il faudrait assumer en partie pénaliserait la jeune nation. On en voit les ravages en Grèce.
Faut-il pour autant négliger un aspect essentiel : jamais des raisons purement économique n’ont été à la base des la création ou de la disparition d’un Etat. Une volonté politique forte n'est pas tenue de respecter des analyses économiques parfois frileuses. Pourquoi les Wallons n’auraient-ils pas le droit de croire en eux ?
Pour la Wallonie, il n’est plus temps de craindre l’avenir, mais de le préparer. C'est-à-dire, se donner les moyens de le comprendre avant qu’il ne devienne présent pour l’affronter avec la dignité d’un peuple adulte et responsable.
(1)Félix Rousseau : « Sans aucune contrainte, de leur propre volonté, les Wallons sont entrés dans l’orbite de Paris, et, depuis sept siècles, avec une fidélité qui ne s’est jamais démentie, n’ont cessé de participer à la culture française ». Le problème culturel en Belgique, Rénovation, 1963
(2)Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, 1996
(3 ) Léopold Génicot, Histoire de la Wallonie, Privat, Toulouse, 1973
(4)François Perin, Forces wallonnes, 1971
(5) 20 et 21 octobre 1945
(6)Pierre Bourdieu , Sur la télévision, Paris, Liber-Raison d’agir, 1996
(7)Fernand Schreurs, Secrétaire général du quatrième Congrès wallon, 1948
(8)Au parlement de la Communauté française, on a pu entendre que ce « glissement sémantique » répondrait aux préoccupations quotidiennes des citoyens… Une enquête publiée par « La Libre » en 2010 a démontré que 70 % des Bruxellois ne sont pas du tout séduits par une union quelconque avec la Wallonie…
(9) http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_ch-picque-la-n-va-peut-devenir-un-ennemi-politique?id=4911213
(10) René Swennen, Belgique requiem, Paris, Julliard 1980. « La région elle, est une réalité. Elle vit de la vie des hommes et des femmes qui la composent. Ses limites géographiques sont connues. Elle est formée de liens précis, tissés par l’histoire, la nature, l’économie, les intérêts, les mentalités. La Région est une chose concrète, tandis que la Communauté est une abstraction intellectuelle, donc une idée, et il n’y a rien de pire que les idées qui se mettent à faire de la politique ».
(11)La collectivité de Mayotte a obtenu obtenir le statut de départements d'Outre-mer en 2011. Un statut de collectivité d'outre-mer au plan constitutionnel, avec une organisation et une dénomination spécifique de « collectivité départementale » ayant été mis en place par la loi organique du 11 juillet 2001 afin de rattraper le différentiel législatif avec la métropole.
(12) Article 53, dernier alinéa, de la Constitution, « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ».
(13)Voir les articles 72, 73, 74 et suivants de la Constitution française
(14)Pour des comparaisons plus fines, voir les publications « Eurostat » et plus particulièrement : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-HA-10-001-04/FR/KS-HA-10-001-04-FR.PDF
(15)Dans le Livre « Histoire de la Wallonie » (éditions PRIVAT 2008) les auteurs, KUPPER Jean-Louis et DEMOULIN Bruno, rappellent citant Michel Quévit dans son ouvrage « Les causes du déclin wallon », que le lent essoufflement de l’économie wallonne a commencé avant la seconde guerre mondiale. Masqué par les moindres destructions massives, les facteurs de déclin (démographie, obsolescence et vétusté du matériel, faiblesse des moyens de communication, désinvestissement de l’Etat belgo-flamand, absence de perspective globale, hyperspécialisation…) se sont combinés avec le désintéressement des groupes financiers « belges » qui ont préféré se lancer dans des entreprises nouvelles et une région flamande socialement plus attrayante. Cette dernière a alors bénéficié en plus d’un apport des investissements américains et du développement d’un « capitalisme intra-flamand ».
Les premières politiques européennes d’aide aux investissements n’ayant servi en Wallonie qu’à maintenir les prix belges à un niveau concurrentiel avec les pays voisins et ainsi à sauver l’emploi pendant qu’en Flandre elles ont contribué à la création de nouvelles entreprises. A titre personnel, je me souviens qu’on disait : « le gouvernement fait des choix. Ainsi, toute la Flandre, et même les régions riches, est considérée comme en développement pour l’Europe alors que seule une faible partie de la Wallonie est dans le même cas ». Et comme c’était le gouvernement belge qui décidait de l’attribution de la manne européenne… Un exemple frappant : « la solution belge à la crise de la sidérurgie wallonne a été de construire Sidmar… à Gand en Flandre ! » De là à conclure que « Le mal wallon, c’est la Belgique »…
(16) Arille Carlier, « Qu’est-ce qu’une nation,? Qu’est ce qu’un Etat ? » La Wallonie nouvelle, 1938