On le sait, le cas « BHV » devrait revenir prochainement sur le devant de l’actualité. A moins d’un vote rapide et majoritaire des partis flamands au Parlement fédéral, ce sera l’occasion de belles envolées lyriques et plus probablement d’un nouveau « dialogue communautaire ». Avec cette fois, l’obligation d’aboutir puisque en juillet prochain, la Belgie-que occupera la présidence tournante de l’Union européenne.
J’avoue que le principe d’un dialogue communautaire (Flamands contre Francophones pour faire simple) ne m’emballe pas. Parler de dialogue communautaire et pas inter-régional, c’est, une fois de plus jouer le jeu des Flamands et des derniers unitaristes qui ont toujours eu du mal à accepter le principe des régions. La Wallonie n’apparaissant pas en tant que telle dans ce débat, ou si peu.
Entendons nous bien, je n’ai pas, ici plus qu’ailleurs, la prétention de parler au nom du Mouvement wallon. Contrairement à ce que prétendent certains, celui-ci n'est l'apanage d'aucune formation politique, sociale ou culturelle particulière, il est présent chez chacun de nous. Personne ne peut le confisquer à son seul usage, c’est faire preuve d’impudence, d’imposture, de mensonge. Personne ne peut s’arroger le titre de « continuateur » parce que le Mouvement wallon, parce qu'il est wallon, se retrouve dans les courants présents, à des degrés divers, au sein de toute organisation ou parti. Simplement parce qu'il veut plus d’autonomie pour la Wallonie, il est opposé et s'oppose encore à l'unitarisme belge toujours vivace dans les esprits, donc aux forces conservatrices parmi lesquelles, curieusement on pourrait classer ceux qui justement se prétendent les « continuateurs ».
J’observe que le Mouvement wallon évolue. Né en réaction aux revendications flamandes (légitimes tant qu’elles visaient à l’émancipation de l’oppression culturelle de leurs dirigeants Flamands, mais francophones ceux-là) à la fin du XIXème siècle, il s’est ensuite conforté par la résistance au nazisme, pendant la guerre 1940-1945, par l'opposition au retour du roi Léopold III et lors des grandes grèves de l'hiver 1960-1961. Ces évolutions ont débouché sur la revendication du fédéralisme et des réformes de structures. Le fédéralisme est acquis en grande partie, mais il reste beaucoup de choses à achever (**). L’existence de Union européenne a modifié la donne en matière d’autonomie des Etats et de fonctionnement de l’économie. Comme l’avait écrit Jacques Nagels, si le capitalisme sauvage du début du XXème siècle avait fait place à un capitalisme civilisé (avec la sécurité sociale et le droit social, y compris le droit du travail, héritage bénéfique du pacte social de l'après-guerre et aux réalités des négociations entre partenaires sociaux) nous sommes maintenant passés du capitalisme civilisé au capitalisme débridé… Cruel retour en arrière.
Ce n’est pas un hasard, avec la disparition de l'affaiblissement de la volonté d’unification de l’ancien Etat Belgique qui se voulait nation en raison de l'émergence et de l'affirmation d'autorités supranationales, de la disparition des capitalismes nationaux, du nationalisme flamand, les citoyens en besoin d'une identité se retrouvent entre eux: c'est le retour des régions et des identités régionales. On assiste donc au retour des traditions wallonnes de valeurs, de culture, de savoir-faire, longtemps ignorées ou même bafouées, qui créent l'essentiel du dynamisme wallon actuel malgré la crise financière induite par le capitalisme débridé. Certes, la Wallonie est toujours en reconversion économique et reste plus en retard que d'autres régions. Le sous-emploi, la précarité et la pauvreté restent préoccupants.
Ce qui n’est pas un mal en soi puisque ces identités ne sont pas des nationalismes construits par un pouvoir central et repliés sur eux-mêmes. Pas de rejets, pas de xénophobie.
L'identité wallonne va se superposer à l'identité belge de plus en plus périmée.
Cette identité n’est pas à confondre - et je reconnais l’avoir fait moi-même – avec les identités locales, ou encore sous locales qui ont toujours existé, et continueront. Elles existent simplement parce qu’elles sont le lieu premier des relations sociales, de l'apprentissage de la société, de la conservation de la mémoire et des traditions, du patrimoine. Aujourd’hui, elles s'aglomèrent pour constituer l'identité wallonne. Ne parle-t-on pas depuis quelques temps de Wallonie picarde par exemple ? C'est la preuve qu'au dessus des identités locales, on concept plus fédérateur est né. Et comme chacun sait ou peut l’observer, dans le monde d'aujourd'hui, l'appartenance forte à une identité locale ne suffit pas, qu'il faut appartenir à un ensemble plus large, pour nous c'est la Wallonie. Pas par défaut d'autre chose, mais parce que c'est le niveau premier de cohésion politique (la Région existe en tant qu’entité politique concrète) et de cohérence entre les identités locales. L'expression « repli wallon » utilisé par certains « pseudo intellectuels désincarnés » est un concept vide de sens, construit par des conservateurs pour essayer de détruire l'identité wallonne dont ils ont fort peur.
Bien sûr, avant que la Wallonie n'existe, chaque sous-région a bien été obligée de s'affirmer face à un Etat unitaire, niveleur et centralisateur en utilisant divers outils comme, par exemple les intercommunales de développement. Il est normal qu'en subsistent encore des traces actuellement. Tout ça va évoluer.
N’oublions pas que la Wallonie a dû attendre dix ans entre la modification de la Constitution (1970) et la première loi de régionalisation (1980); elle a donc dû se glisser, tant bien que mal dans la Communauté française qui a été créée en 1971. La Communauté n'a jamais été une revendication wallonne mais bien une revendication flamande dont les Wallons ont été dotés malgré eux. C’était la seule expression politique possible au départ, il est normal que le Mouvement wallon n’y ait pas obtenu toutes ses revendications initiales. La coexistence des Communautés et Régions est une des causes de ce que certains appellent l’échec du fédéralisme qui n’est que son incomplétude, facteur de blocage important certes, mais qui ne doit pas faire oublier que les acquis sont quand même importants. Même si ce n’est pas une raison de s’en satisfaire.
C’est peut-être le moment de suggérer à ceux qui s’occupent de nos destinées (**) quelques éléments de réflexion pour adapter les structures institutionnelles aux nouvelles réalités. Il faut oser aller au bout des logiques.
Wallonie !
La première est d’ordre symbolique, mais est plus qu’essentielle. La Constitution belge parle de « régions » (Art 1 et 4) de « Communautés » (art 1 et 2) ou encore de « Régions » (art. 3 et 5).
La confusion entre « régions » par la langue et « Régions » (entités politiques et humaines) si elle fut une trouvaille ingénieuse n’a plus de raison d’être. Il faut remplacer les « Région wallonne, la Région flamande et la Région bruxelloise » par « Flandre, Wallonie et Bruxelles ». Peut-être en en ajoutant une quatrième, la future ancienne région de langue allemande puisqu’il semble bien que des revendications vont dans ce sens.
Communauté française ?
La seconde est d’ordre vitale. Toute identité est vivante et doit être alimentée pour se développer progressivement. L'enseignement et la culture sont ses aliments principaux pour les générations à venir. La Wallonie ne maîtrise pas son enseignement. Celui-ce est neutre, indifférencié, incolore, et insipide du point de vue wallon parce qu'il doit aussi convenir à Bruxelles. La culture, telle qu'elle est conçue et subsidiée par les pouvoirs publics est dans la même situation. Elle est donc forcément soit élitiste et conservatrice, ou ; à l’inverse « dite » populaire et le plus souvent d'une bêtise profonde pour que « chacun s’y retrouve ». Les effets pervers du compromis ou de la neutralité « à la belge » dont je parlais dans un billet précédent…
Il est donc vital que la Wallonie prenne elle-même en charge son enseignement et maîtrise elle-même l'affectation des budgets de la culture. L'un et l'autre dépendent aujourd'hui de la Communauté dite « Wallonie-Bruxelles » et doivent être transférés aux deux régions (à la Commission communautaire française (COCOF )de la Région de Bruxelles). Ce qui n’empêchera pas – on doit le prévoir – des structures de concertations pour assurer la cohérence là où elle est indispensable ou utile. Ainsi la solidarité entre Bruxelles et la Wallonie serait affirmée plus nettement encore que dans le magma actuel.
La RTB(f) de même que les Universités devraient être cogérées par le Gouvernement wallon et l'Exécutif de la COCOF. Tant le Parlement wallon que la COCOF seraient concernés par le contrôle de ces institutions disposant d'une large autonomie, chaque Parlement votant les crédits qui le concerne selon une clé de partage tenant compte, par exemple du PIB, du nombre d'habitants ou du nombre d'étudiants de chaque région. Mais on peut imaginer d’autres clés.
Il faut cesser de faire croire que la Communauté française « Wallonie-Bruxelles » constitue le ciment entre les Wallons et les Bruxellois francophones. Simplement parce que c'est une vue de l'esprit ne correspondant pas aux réalités sociologiques. Elle ne peut être ni wallonne ni bruxelloise, en conséquence, cette « Communauté » se confine dans l'immobilisme, ne contribue pas à la formation d'une identité wallonne (ni d'ailleurs d'une identité bruxelloise), pire encore peut plus, dès lors, qu'être « belge francophone » et plus rarement « francophone » que « belge ». Elle participe à la volonté de désagrégation de identité wallonne et française de la Wallonie.
Je supporte mal d’entendre les présentateurs et les journalistes de la télévision officielle nous parler de Flandre quant ils préfèrent utiliser l'expression surréaliste de « sud du pays » ou « sud de la Belgique » comme si nous n’existions pas, préférant réaffirmer chaque fois le cadre unitaire belge, alors même que la Constitution (belge !) affirme que la structure est fédérale !
Ensuite, plus tard, une fois cet objectif atteint, et c’est dans la logique sociologique de la Wallonie, celle-ci étant constituée d'entités locales et sous régionales aux caractéristiques différentes, il appartiendra aux pouvoirs wallons d'éviter une gestion centralisée mais, au contraire, de faire participer au développement les entités locales et/ou sous régionales, tout en assurant la cohérence et la cohésion.
Complétude
La troisième consiste à aller plus loin (achever ?) le (con)fédéralisme. Trop de matières sont restées de la compétence de l'Etat fédéral ou sont bridées ou encore limitées à l'exécution de lois fédérales en raison des principes d'unité monétaire (qui n’a plus de raison d’être le passage à l’Euro) et d'union économique, ou encore certains dispositifs relatifs à l'unité administrative et à la stabilité intérieure sont encore maintenus comme si on était resté en 1831 !
Sans vouloir être exhaustif, pensons à la politique agricole, la recherche scientifique, quels que soient les domaines, les marchés publics, le transit des déchets, la politique de l'énergie (le contrôle du le cycle du combustible nucléaire pourrait être transféré à l’échelon européen), la coopération au développement, le commerce extérieur hors UE…
Pensons aussi à une participation à la gestion d'organismes tels que la SNCB, la poste, Belgacom, les instituts scientifiques de l'Etat.
Il y a d’autres domaines en matière d’emploi, de justice, de fiscalité, de santé ou de sécurité sociale…
Concernant ce dernier point, il est souvent mis en avant par ceux qui regrettent, contre toute logique, l’état unitaire. C’est oublier que ce système n’est pas original et tous les pays voisins se sont basés sur les mêmes principes, même si en raison de leurs passés et de leurs développements économiques, les modalités sont différentes et ne peuvent pas être facilement harmonisées, la sécurité sociale fonctionne sur un principe d'assurances obligatoires et comme dans tout système d'assurance plus on élargit la base, plus le système est équilibré. L’idéal, serait d’aller vers un système européen. Mais dans l'environnement idéologique de l'Union européenne, on peut craindre qu'une harmonisation ne se fasse que vers le bas, ce qui constituerait un recul social pour beaucoup. Il en va de même en cas de scission de la sécurité sociale. N’empêche…
J’en ai déjà parlé, l'évolution démographique, sociale et de l'emploi (comme annoncé, la crise frappe plus durement la Flandre que la Wallonie, avez-vous remarqué qu’on ne parle plus des transferts ?), joue plus en faveur de la Wallonie que de la Flandre et la population wallonne est déjà plus jeune que la population flamande. Elle vieillit en effet moins vite si on veut se donner la peine de considérer les indices démographiques. Et parmi ceux-ci le rapport du nombre des plus de 60 ans au nombre des moins de 20 ans Qui est tout à fait en faveur de la Wallonie. Ce qui veut dire que, proportionnellement et en étant prudent, la charge des pensions va s'alourdir moins fort en Wallonie qu'en Flandre. Il devrait est de même sur le moyen terme de la charge de l'assurance maladie-invalidité, notamment par la réduction des charges dues aux maladies professionnelles liées à l'industrialisation lourde (oui, c’est peut-être cynique, mais c’est logique). Par contre, la charge des allocations familiales pourrait s'alourdir légèrement pour la Wallonie au regard de la Flandre. Il faut cesser de dramatiser toute régionalisation de la sécurité sociale, affirmant qu'elle conduirait automatiquement à l'éclatement de la Belgique. Cette affirmation est peu fondée si on y réfléchit bien. Elle poserait des problèmes aux uns et aux autres dans certains domaines mais des solutions sont toujours possibles. Il convient donc d’examiner les modalités d’une séparation de la sécurité sociale entre la Wallonie et la Flandre qui peut convenir aux intérêts économiques et sociaux wallons. Dès maintenant ! La reconversion économique de la Wallonie est bien en route même s'il faut encore du temps pour qu'elle se marque plus nettement en terme d'emploi. Il faut profiter du fait que les Flamands sont demandeurs pour engranger ce qui peut l’être.
Préparer l'avenir
Pour ça, il ne faut pas avoir peur de l’éclatement de la Belgique. Sous le prétexte de vouloir sauver « ce pays », c’est se mettre en situation d'infériorité devant toute revendication flamande et inévitablement céder. Les revendications flamandes ont été accompagnée depuis le début du XXème siècle accompagnée d'un courant hostile à la Belgique. Les partis flamands ont délibérément et habillement joué de cette menace, pour faire adopter leurs revendications par l'Etat belge et le gérer dans le sens des intérêts flamands. Il est temps que nos dirigeants en prennent conscience. Et que ça cesse. Et il ne suffit pas de n’être demandeurs de rien !
Honnêtement, quels risques pourrions-nous courir si demain, la Wallonie et Bruxelles se retrouvaient provisoirement seuls gestionnaires de la Belgique ? La situation ne serait pas plus grave, ni moins grave qu'actuellement. Sans compter que la Wallonie pourrait très rapidement trouver des solutions au niveau international.
Il faut oser sinon, on décidera pour nous. L’Europe à - combien encore ? - en élargissement continu ne pourra plus garder son fonctionnement sur les bases actuelles. J’imagine mal le fonctionnement en consensus d’une Commission à 40 ou davantage… Il faudra donc nécessairement que s'opèrent des regroupements. C’est comme ça que le Fonds monétaire international fonctionne, par un système de représentations. Dans une Union européenne forcément multiculturelle, des regroupements vont inévitablement se produire sur base de critères culturels, (pas uniquement la langue) comme la conception de la société et des rapports de la personne à la collectivité. C’est ainsi qu’il faut absolument éviter la réanimation du BENELUX ! Il est clair que la Wallonie s’y verrait minorisée dans son développement économique et dans son existence politique. Nous n’aurions évidemment pas notre place dans un ensemble germanique à moins de vouloir disparaître à terme (Je ne parlerai pas ici des élucubrations du « Groupe de Baarle » justement démontées par mon ami Didier Melin, et stupidement agitées par ceux qui cherchent à faire peur ou… qui jouent à se faire peur !).
Les regroupements se feront probablement par proximité, les ensembles, scandinave ou slave sont exclus. Par contre, une alliance dans un ensemble français est évidemment tout à fait cohérent, une Wallonie française autonome aurait toute ma préférence. C’est à préparer rapidement et... concrètement !
(*) Il a fallu 35 ans pour que le mouvement wallon obtienne satisfaction. C’est à la fois long et court. C’est en tous cas la preuve que les conservateurs finissent soit par abandonner un combat qu'ils jugent définitivement perdu, soit à comprendre leurs erreurs. Il en ira ainsi de l'identité belge dont l'Etat a imprégné les citoyens wallons par l'enseignement, le trucage de l'histoire (Pirenne !), l'existence et le rôle de la monarchie et qui est simplement dépassée, périmée, même si beaucoup ne s’en rendent pas compte. La soutenir par des moyens thérapeutiques relève d'un combat d'arrière-garde des conservateurs, hélas toujours très actifs parce que désespérés.
(**) Essentiellement les présidents de parti, les autres, ceux que nous avons élus n’ayant que peu de chose à dire comme vient encore de le rappeler Claude Eerdekens dans la DH du 11 août...
Et merci à Yves de Wasseige (qui par ailleurs vient de publier un nouvel essai : "L'économie au service des gens") aux éditions couleurlivres.be) qui a nourri mon inspiration !