Les récentes déclarations du ministre du Budget visant à revenir à l’équilibre et en particulier en concentrant les efforts d’économies sur la sécurité sociale provoquent des réactions en sens divers.
Et évidemment, tous les départements sociaux (emploi, santé, affaires sociales, pensions ) sont gérés par des représentants de partis non-flamands…
Hasard ? La presse flamande n’a pas hésité à embrayer sur le sujet alors que les commentaires de ce côté sont plus… euh… modérés ?
« Het belang van Limburg » se demande si l’argent qui va aux soins de santé est bien utilisé, précisant qu’en Europe, seule la France (tiens donc…) dépense plus et que les dépenses de plus en plus grandes pour les soins de santé se font au détriment des pensions et des finances publiques et que ce n’est pas tenable. Même « le Morgen » plutôt positionné à, gauche se pose la question est de savoir si une croissance garantie de 4,5% par an pour la sécurité sociale n’a pas été calculée un peu trop largement…
Bien sûr, pour respecter la norme d'un déficit budgétaire ne dépassant pas 3 % du PIB à ramener à zéro % en 2015, il faut, en principe, nécessairement pratiquer une politique d'austérité budgétaire. On sait déjà (ou on vient de l’apprendre) que dans ce cas les budgets qui sont le plus touchés sont les budgets sociaux et ceux de la sécurité sociale ainsi que ceux de la justice et de l'éducation. L'austérité touche donc principalement les citoyens et en particulier ceux d'entre eux qui ont le plus besoin de la solidarité. Il ne faudra pas dès lors pas s'étonner de voir le fossé se creuser entre les citoyens et le monde politique ni non plus de voir se re-développer des populismes d'extrême droite.
Mais prenons du recul.
Le budget de l'État est un outil de politique économique, son équilibre n'est pas, en soi, un objectif économique. Le pacte de stabilité européen est un non-sens. La croissance économique, comme composante du développement, est un objectif économique. On sait depuis plus de 75 ans, depuis la vision macroéconomique développée par Keynes, que l'économie ne tend pas naturellement vers la croissance comme l'affirmaient encore il y a peu les économistes « néoclassiques » (néolibéraux est trop connoté…). À certains moments, il faut la stimuler.
Plus l’économie stagne, plus la dette publique rapportée à la production nationale s’accroît. Et, réciproquement, plus l’économie est dynamique, plus cette part se réduit. La plupart des analystes ayant pignon sur rue considèrent le désendettement des administrations comme un préalable à la croissance économique. Il n’en est rien puisque l’endettement, lorsqu’il résulte d’une forte augmentation des dépenses, stimule la croissance. Le lien logique entre endettement public et croissance irait donc plutôt dans l’autre sens : c’est l’endettement des administrations publiques qui tend à favoriser la croissance, et c’est la croissance trop faible qui génère de l’endettement…
La demande globale est formée de la consommation privée, des investissements privés, des dépenses publiques courantes et des investissements publics. Si la consommation privée se ralentit, il faut la relancer, par exemple en augmentant le salaire minimum, les allocations sociales, les petites pensions. Si les investissements privés se ralentissent, il faut les stimuler par une baisse des taux d'intérêt, des aides publiques et il faut, aussi, augmenter les investissements publics. Dans l'un comme dans l'autre cas, le déficit du budget de l'État - c'est-à-dire l'écart entre les dépenses et les recettes - s'accroît et, forcément la dette publique augmente aussi.
Lorsque la croissance économique se ralentit, de telles mesures sont de nature à la raffermir et trouvent, au cours des années suivantes, de quoi éponger le supplément d'endettement par une augmentation naturelle des recettes fiscales qui résulte de l'augmentation de l'activité économique et des revenus.
Certes, il faut éviter de financer les dépenses courantes par un déficit et il faut maintenir l'endettement dans une limite raisonnable pour éviter un alourdissement trop fort des charges d'intérêt des emprunts. Dès lors, s'il faut choisir un critère, ce devrait être l'endettement global plutôt que le déficit annuel.
La dette publique qui dépasse 300 milliards d'EURO. On pourrait donc dire que l'État belge, niveau fédéral, niveaux régionaux et sécurité sociale, est fort limité.. Il faut, cependant, apporter deux précisions qui tempèrent nettement la gravité de la situation telle qu'elle apparaît à première vue
Souhaitant frapper les esprits, certains acteurs de la vie publique n’hésiteront pas à calculer cette somme par individu ou par ménage… Elles reposent toutes sur l’analogie entre l’Etat, présumé dépensier et mal géré, et un ménage, présumé soucieux d’équilibrer son budget).
Il convient de ne pas confondre l’endettement des administrations avec celui du pays pris dans son ensemble : la dette publique n’est pas la dette de la Belgique. La richesse nationale totale comprend les actifs non financiers (biens fonciers, immobiliers, équipements, etc.) détenus par l’ensemble des agents publics et privés, même si ces actifs ont été singulièrement bradés ces 10 dernières années. Il faut y ajouter les avoirs nets sur l’étranger (c’est-à-dire la somme de toutes les créances privées et publiques sur l’étranger, moins celles détenues par les agents non résidents sur notre économie). Or, la quasi-totalité de la dette publique (97,25 %), est en EURO (elle était en francs belges avant le passage à l'EURO) et la majorité de cette dette est, selon certaines études, détenues à raison d'environ 70 % par des institutions publiques et privées d'envergure, telles que organismes de crédit, banques, assurances, entreprises publiques. L'État belge n'a donc pas vraiment de dettes vis-à-vis de l'extérieur, situation évidemment toute différente de celle du Brésil ou de l'Argentine, par exemple.
Présentée du point de vue d’un comptable d’entreprise, mais cette fois avec rigueur, la dette publique apparaît soudain moins calamiteuse. Elle n’en repose pas moins sur une erreur de perspective : l’Etat est une entité économique et financière différente des autres. Il ne meurt pas, il ne fait pas faillite. On ne peut le comparer ni à un ménage ni à une entreprise.
On va l’entendre en boucle dans les médias. La majorité comme l’opposition (laquelle, au fait ?), en appelle à la résorption de la dette, c’est-à-dire, inévitablement, à la « réforme » des administrations publiques, à la réduction du nombre de fonctionnaires, à la baisse des dépenses d’éducation et de santé, des pensions de retraite, de l’indemnisation-chômage, etc. La machine est bien huilée et est prête. Et puis, l’argument semble plein de bon sens : n’est-ce pas comme cela que les choses se passent dans notre vie de tous les jours ? Justement, non !
Prenons un exemple : celui de l’endettement d’un ménage pour acheter un logement. Si les parents décèdent avant d’avoir remboursé la totalité de leur emprunt, ils ne laissent pas uniquement une dette à leurs enfants, mais également un bien immobilier. La dette est la contrepartie financière d’un actif réel et, souvent, bien utile... Si l’on en revient aux administrations, on constate que l’endettement contracté par les générations passées a pu donner lieu à de belles réalisations (infrastructures, amélioration du niveau d’éducation, amélioration de l’état de santé de la population, etc.). Non ? Evidemment assez inégalement réparties en Belgique, mais ça…
De plus, pour s’endetter, l’Etat émet sur les marchés financiers des obligations appelées, dans ce cas, bons du Trésor. Ces titres sont achetés par d’autres agents (assurances, établissements de crédit, organismes communs de placement, non-résidents...), lesquels placent l’épargne des ménages qui ont un revenu suffisamment élevé... pour épargner. Au moment où l’Etat s’endette, ceux qui possèdent ces bons du Trésor appartiennent à la même génération que le reste de la population. Celle qui hérite de la dette publique hérite aussi des titres de cette dette. D’un strict point de vue financier, au niveau global, le transfert net d’une génération à une autre est nul. Prise dans son ensemble, notre génération n’est ni plus ni moins endettée que la génération précédente ou que la génération future. L’accroissement de l’endettement public donne effectivement lieu à des transferts — non pas entre générations, mais au sein d’une même génération. En effet, les bons du Trésor sont des obligations qui rapportent chaque année à leur détenteur un intérêt, versé par l’Etat et donc, en dernier ressort, par les contribuables. Ces sommes ne sont pas négligeables. L’endettement des administrations publiques, question intragénérationnelle, entraîne donc surtout une redistribution à rebours en provenance de tous les contribuables, surtout les plus modestes, à destination des détenteurs de la dette publique, qui in fine sont essentiellement les ménages les plus fortunés : ceux qui ont placé leur épargne sur les marchés financiers, notamment sous forme de bons du Trésor.
Injuste ? Oui, mais c’est le système qui veut ça.
Par contre, il y a un effet bénéfique de l’endettement public peu connu qui mérite d’être souligné. Dans les pays capitalistes avancés (chez nous quoi..), il faut comprendre qu’au niveau global c’est l’épargne qui crée la dette (qu’elle finance). Et non l’inverse. Les épargnants réussiront en effet toujours à prêter la partie de leur revenu qu’ils ne veulent pas consommer. Si, dans l’économie, la volonté d’épargner est supérieure à la volonté d’investir, l’excès d’épargne (par rapport à l’investissement) trouve tout de même à se « placer » sur d’autres supports déjà présents sur les marchés financiers (avec toutes les conséquences qu’on a vue ces dernières années). Lorsque l’Etat s’endette pour financer des dépenses supplémentaires, il évite que cet excès d’épargne ne trouve un débouché stérile ou spéculatif. D’une certaine façon, il s’endette à la place des entreprises, qui n’investissent pas assez, pour dépenser cette épargne, utilement, dans la production de biens publics.
Alors, que faire ?
Augmenter les impôts ? Peu populaire. Pourtant, en baissant les impôts des riches, les gouvernements ont simultanément contribué à déséquilibrer les finances publiques et obligé l’Etat à offrir des titres sur les marchés financiers et à s’endetter auprès de ces contribuables dont la « propension à épargner » est la plus forte, déplaçant la charge fiscale des foyers les plus cossus vers les revenus moyens et modestes. La baisse des impôts des particuliers au début de la décennie n’a pas constitué pas une réelle mesure de relance économique, surtout après quelques la chute des cours de bourses de l’époque. Ces baisses d'impôts ont surtout servir à reconstituer des épargnes qui ont été écornées et n’ont servi que peu à contribuer à une relance de la consommation. Elles ont par contre été fort utiles aux entreprises multinationales qui ont trouvé à se financer à se financer par les marchés financiers.
Bref, nous avons assisté à un flux de redistribution à l’envers. Les riches bénéficient alors d’une double récompense : le cadeau fiscal d’un côté, et le paiement d’intérêts de l’autre. Le premier leur permet de dégager l’épargne qui financera la dette. Laquelle a été créée par le cadeau fiscal lui-même. En tous cas, en principe puisqu’on l’a vu avec la dérégulation du système financier, cet argent n’a pas été perdu pour tout le monde et a servi à tout autre chose. Les Etats on même été obligés de renflouer les joueurs délinquants qui depuis lors ont repris leurs activités sans scrupules.
Une telle mécanique, que l’on prétend contredire par des « plans de rigueur », trouverait peut-être un meilleur remède dans un retour à une imposition plus progressive et à la mise ai-u rencart du pacte de stabilité européen tel qu’il existe (Politique monétaire uniquement anti-inflationniste et politique budgétaire d'austérité conduisent inévitablement à un taux de croissance faible (1), avec comme conséquences directes l'accroissement du chômage et des inégalités, l'accroissement des faillites touchant principalement les petites et moyennes entreprises, un découragement des initiatives de création d'entreprises, un appauvrissement du tissu économique et de la recherche)
À la place, il faut en revenir au niveau européen aux politiques keynésiennes. Elles ont fait leurs preuves à l'échelle des États-nations entre 1945 et 1970. Elles ont fait leurs preuves aux États Unis d'Amérique dans la décennie 1990. Elles sont tout à fait possibles au niveau européen ou dans des politiques nationales coordonnées au niveau européen.
Puisque la coordination européenne des politiques restrictives au niveau budgétaire et monétaire est possible, il n'existe aucune raison que des politiques de croissance et de développement ne puissent pas se coordonner au niveau européen.
Mais qui va le proposer ? On ne parle plus d’organiser un « Nouveau Bretton Woods », les mâles propos des nos gouvernants sont oubliés et de toute façon, la grippe porcine va servir d’écran de fumée à un retour aux politique néo-libérales.
(1) La preuve en a été donnée, souvenez-vous : croissance faible entre 1992 et 1999, années pendant lesquelles ces politiques conjuguées ont été appliquées. La preuve a été donnée a contrario : croissance relativement forte entre 1999 et 2001, lorsque, l'EURO étant bien installé, ces politiques se sont relâchées.