La presse « francophone belge » (pléonasme ?) monte au créneau pour critiquer l'interview que Leterme a accordée à la chaîne européenne Euronews. Il y défend le code du logement flamand qui oblige les candidats à un logement social à se dire disposés à apprendre le néerlandais. « La méconnaissance d'une langue en Belgique est source d'injustices sociales » dit-il. Ajoutant : « La méconnaissance du français ou du néerlandais est source d'injustices sociales. Il y a des enfants, aujourd'hui, qui entament leur scolarité sans connaître ni le français ni le néerlandais ».
Ne trouvez-vous pas qu'il a raison sur le fond ?
Je travaille dans le milieu hospitalier à Bruxelles. Il est courant de rencontrer, dans cette ville qui se veut « Capitale de l'Europe », des personnes qui y passent toute leur vie sans jamais parler une des langues officielle. Sans même parler d'intégration, que penser de leur situation sociale ou culturelle ? Ils vivent dans un monde à part, soumis à on ne sait quelles règles tribales, sans alphabétisation qui leur permettrait d'appréhender leur environnement et le monde moderne. (*)
L'éducation obligatoire (en français), héritée de la Révolution, avait justement comme premier objectif démocratique de lutter contre les injustices sociales liées à l'ignorance des lois. La Constitution adoptée en septembre 1791 rangeait l'instruction publique parmi les «Dispositions fondamentales garanties par la Constitution». : « Il sera créé et organisé une Instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes et dont les établissements seront distribué graduellement, dans un rapport combiné avec la division du royaume. - Il sera établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre le citoyens, et les attacher à la Constitution, à la Patrie et aux lois ». Des décrets d'application furent déposés avec pour auteurs : Talleyrand, Condorcet, Le Peletier, et Lakanal... Excusez-moi du peu.
Des exemples : Rapport et projet de décret sur l'organisation des écoles primaires présentés à la Convention nationale, au nom de son Comité d'instruction publique (1792); par François Lanthenas.
TITRE III : Dispositions particulières pour les pays ou la langue française n'est pas d'un usage familier au peuple
ART. 1. L'enseignement public sera partout dirigé de manière qu'un de ses premiers bienfaits soit que la langue française devienne en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la République.
ART. 2. A cet effet, dans les départements où la langue allemande s'est conservée jusqu'à présent, on enseignera à lire et à écrire tant en français qu'en allemand ; et le reste de l'enseignement dans les écoles primaires se fera dans les deux langues.
ART. 3. Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, on enseignera à lire et à écrire en français ; dans toutes les autres parties de l'instruction, l'enseignement se fera en même temps dans la langue française et dans l'idiome du pays, autant qu'il sera nécessaire pour propager rapidement les connaissances utiles.
Il s'agit d'une tendance historique lourde dans tous les pays. Pour en revenir à la France, L'ordonnance de Villers-Cotterets, a servi de cadre juridique de la politique linguistique des rois de France. Ces mesures à l'égard des idiomes locaux ont recherché, au coup par coup, l'unité politique en respectant la diversité culturelle. Les révolutionnaires y ont d'ailleurs rendu témoignage à leur façon. Ainsi Barrère dans le Rapport du comité de salut public sur les idiomes : « Dans la monarchie même chaque maison, chaque commune, chaque province, était en quelque sorte un empire séparé de mœurs, d'usages, de lois, de coutumes et de langage. Le despote avait besoin d'isoler les peuples, de séparer les pays, de diviser les intérêts, d'empêcher les communications, d'arrêter la simultanéité des pensées et l'identité des mouvements. Le despotisme maintenait la variété des idiomes... ».
L'égalité républicaine animait ainisi les esprits éclairés, exemples :
« ... on peut uniformiser le langage d'une grande nation ... Cette entreprise qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l'organisation sociale et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l'usage unique et invariable de la langue de la liberté ».
« ... pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale (*), ... il faut identité de langage. ... L'unité de l'idiome est partie intégrante de la révolution ». Abbé Henri Grégoire (extraits de son rapport à la Convention)
« La monarchie avait des raisons de ressembler à la tour de Babel; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue nationale... Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous.(*) » Barère
Je pense qu'on ne refera pas l'histoire (et je suis souvent en ma qualité de Wallon, partisan de la réunion à la France, le premier à le regretter). Les choix qui ont été faits dans le passé partaient tous d'une très bonne intention, on l'oublie trop souvent. Ainsi, sous la IIIe République, le désir de faciliter une certaine promotion sociale, et d'assurer l'unité française, amena les responsables de l'enseignement à proscrire l'usage de tous patois ou parlers régionaux à l'école. Ce qui fut une période difficile, rappelons-nous les expressions : « Interdit de cracher et de parler en ... » (Choisissez celle à laquelle vous pensez...). Tout naturellement, il en a été de même, par « contagion » dans ce qui est devenu la Wallonie. Et c'est une bonne chose, à condition de respecter les particularités locales qui font la richesse d'une nation. Cette période est heureusement dépassée.
C'est ce qui est compris dans la Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution de la république le titre : « Des Communautés européennes et de l'Union européenne » À cette occasion, il fut inséré, après le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, une disposition proclamant le français comme « langue de la République ». Si l'adoption de cette disposition avait comme but premier de protéger le français contre l'influence excessive de l'anglais, notamment par la crainte de l'imposition de cette langue par plusieurs instances européennes, le garde des Sceaux, Roland Dumas, a bien précisé (25 juin 1992) aux députés et sénateurs que cette précision ne nuirait aucunement aux langues régionales
S'il se vérifie que l'objectif du « Wooncode » est dirigé uniquement contre les nouveaux habitants d'expression française, c'est évidemment éminemment critiquable, antidémocratique, xénophobe, et donc inadmissible. S'il a bien comme objectif ce souci de démocratie sociale (**) sur l'ensemble du territoire de l'Etat Flamand (hors communes dites « à facilités (**) »), je ne peux que l'approuver.
(*) A l'heure où, en Belgique, de futurs enseignants (biologistes, normaliens...) se montrent réticents à l'idée de dispenser la théorie de l'évolution, préférant les thèses créationnistes affirmant que la naissance de l'univers et des êtres vivants ont été « dirigés » par une entité supérieure, il est bon de se rappeler ces résolutions pleines de bon sens. La situation est inquiétante, puisque pour Jean-Christophe de Biseau, responsable de l'agrégation en biologie (ULB). « Certains futurs profs de bio présentent de sérieuses lacunes en matière de théorie de l'évolution. Et puis il y a ceux qui se refusent à enseigner cette matière. C'est le cas de certains musulmans ou de stagiaires venus du Maroc. On ne peut pas transiger là-dessus : à chacun ses croyances ; mais la science, c'est autre chose. » Il n'y a pas que les musulmans, les autres fondamentalismes religieux (Georges W. Bush en est un exemple) ne valent pas mieux.
(**) Si j'ai bien lu, on ne demande pas de connaître effectivement le néerlandais, mais de faire un effort pour l’apprendre. Il n'y a aucune obligation de résultat : il n’y a pas d’examens et il ne faut pas apporter la preuve de la conaissance de la langue...
(***) La situation dans ces communes est différente et reste un point de discussion important. Le statut de ces facilités pour l'usage du français dans la sphère publique accordées à l'origine à titre transitoire aux habitant francophones de ces communes situées sur le territoire flamand a évolué pour devenir permanentes (uniquement) dans l'esprit des francophones (ayant été considérées comme bétonnées à plusieurs reprises, mais on sait ce qu'il faut penser du béton belge...).
Seul l'avenir nous dira ce qu'il en sera réellement.