J’ai été stupéfait d’entendre ce matin à la radio que le MR aurait - une fois de plus - pris position pour la recréation d’une province du Brabant unitaire. Quel mépris pour les Wallons et la Wallonie !
Certes, il y a évidemment derrière cette annonce de très claires arrière-pensées purement électorales. Ce parti est actuellement assez bien positionné à Bruxelles et en Brabant wallon et il ne perd pas de vue que la scission de BHV acquise, il aura besoins des voix de la forte immigration bruxelloise en Brabant wallon à récupérer. Par ailleurs, le Brabant wallon est la seule province wallonne où ce parti fait des résultats. Nous sommes donc clairement dans des jeux de pouvoir. Plutôt être le premier chez soi que le dernier en Wallonie.
J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le mal de cette très fausse bonne idée.
Brièvement : pour des raisons historique le Brabant wallon fait partie de l’aire linguistique latine depuis toujours. Recréer une province brabançonne unitaire reviendrait à imposer le néerlandais dans les services publics, puisque cette nouvelle entité ne pourrait être que bilingue. Par ailleurs, ceux qui ont connu la position de sujétion et d’abandon que l’arrondissement minoritaire de Nivelles a vécu jusqu’à la scission en 1995 ne peuvent que craindre un retour aux pratiques favorisant le développement des arrondissements du Nord, majoritaire, Bruxelles-Halle-Vilvoorde (*) et Louvain. Toutes choses que les partisans (essentiellement le MR et Ecolo) de ce machin semblent avoir joyeusement oubliées.
Les arguments classiquement utilisés mettent en avant des aspects économiques. Or, il est notoire et évident que les aspects économiques se jouent des frontières. Il n’y a plus de péages sur les routes… Combien d’entreprises fonctionnent sans problème avec des sièges situés dans plusieurs régions ou pays ? Non, il n’y a là derrière que des calculs bassement électoraux. Ils jouent sur les émotions, surtout la peur de l’avenir. La presse à leur dévotion leur apporte son soutien en dramatisant à outrance le pseudo-manque de gouvernement depuis un an. Alors qu’au contraire, ce qui s’est passé a tendance à montrer qu’il serait plus que temps d’envisager de supprimer ce « niveau fédéral » en transférant les compétences résiduelles vers les Régions.
Certes, on va faire durer encore un peu. Une présidente de parti parlait (avec culot) du coup d’état permanent (elle a des lettres ou des bons conseillers) de la N-VA. Et c’est drôle dans la bouche d’une des personnes qui avec ses collègues présidents de parti a confisqué le pouvoir depuis très longtemps…
Ces présidents de parti continuent à jouer leurs jeux politiques, mais surtout le jeu politique belge. Et dégagés de fait de toutes responsabilités sur l’ensemble du territoire encore « dit belge », puisque implantés dans une seule «communauté », ils en tirent les ficelles, sans jamais s’exposer, pour le plus grand mal de la démocratie. Leurs parlementaires ne sont plus que des voltigeurs dont les interventions ne consistent qu’à distraire de temps en temps le bon peuple en apportant à chacune des tendances les arguments prémâchés (*) que celle-ci, conditionnée par la pensée unique des médias ou des chapelles extrémistes attendent. Sans risque. La stabilité du corps électoral est (hélas!) à ce prix. En tous cas, en Wallonie et aussi à Bruxelles.
Ce n’est pas pour autant que le problème belge est simplement linguistique.
Le blocage actuel était quasiment inévitable même s’il n’est pas encore vraiment insurmontable. L’un des grands changements à observer, c’est le fait que le parti flamand (la NVA) a la majorité relative en Flandre depuis juin 2010, et ne l’y a pas de manière accidentelle. La NVA représente tant la Flandre rurale, se confiant jadis aux catholiques, que la Flandre moderne. La NVA joue maintenant, pour les Flamands, le rôle autrefois joué par les catholiques ou aujourd’hui les démocrates-chrétiens, mais ces derniers jouant à la fois la carte belge (du fait de la majorité flamande) et la carte flamande (en raison de la population auquel ce parti s’adresse). Ce n’est plus le cas. Il semblerait donc bien que les « compromis à la belge » connus depuis près d’un siècle soient devenus impossibles. Et ça ne tient pas à je ne sais quelle incapacité des politiciens belges à s’arranger comme on l’entend généralement.
Cela tient au fait que le jeu a profondément changé, ce qui redonne du poids et de la force, côté wallon, à la défense de la Wallonie et de ses intérêts régionaux, chose qui - et ça, c’est nouveau - s’allie à un sentiment identique dans la région de Bruxelles.
C’est pourquoi, vouloir recréer une Belgique miniature sous la forme d’une fédération Wallonie-Bruxelles (encore que là, j’attends de voir ce que ça va devenir puisqu’on semble vouloir individualiser les deux régions) ou cette chimère de « province du Brabant » sont des choses complètement dépassées.
Dans un cas comme dans l’autre, les Wallons et particulièrement les Brabançons wallons seraient perdants.
Je m’explique :
Je vous ai recommandé la lecture du livre de Michel Quévit qui a enquêté sur les transferts financiers nord-sud si souvent dénoncés par les partis flamands et leurs alliés belgo-bruxellois. Et si, en effet, depuis 1965, la région wallonne contribue moins aux recettes de l'Etat belge qu'elle ne reçoit. Cette situation résulte du déclin industriel de la sidérurgie et du charbon. Ces transferts existent aussi dans d'autres pays touchés par le même problème : Madrid et la Catalogne vers l'Estrémadure et la Galice (Espagne) ; l'Ile de France vers le Nord-Pas de Calais et le Limousin (France)…
On oublie volontairement que pendant plus d'un siècle, la sidérurgie wallonne a été un atout pour tout le pays, car jusqu'à la mise en exploitation des charbonnages de Campine en 1926, la Wallonie était la seule à disposer de charbon en Belgique. Pour exporter ce charbon, elle aurait pu tirer profit de sa proximité avec des ports étrangers (Dunkerque pour le Hainaut et Rotterdam pour Liège) mais elle est restée solidaire des projets portuaires de l'Etat belge : Anvers et Zeebrugge.
On oublie que plus de 2.000 km de voies navigables (canal Albert, canal de Willebroeck, canal de la Campine, p.ex.) ont été créés à partir d'Anvers vers la Wallonie, la France et l'Allemagne. Dans son étude sur l'histoire économique de la Belgique de 1957 à 1968, le professeur Baudhuin faisait remarquer que les 10 milliards de dépenses du secteur public (Etat et ville d'Anvers) en faveur de l'infrastructure portuaire d'Anvers ont eu un effet multiplicateur de cinq, générant près de 50 milliards d'investissements privés ». C'est de là que vient le début de l'essor économique de la région anversoise et de la Campine dans l'acier et la sidérurgie, mais aussi dans la pétrochimie, le raffinage et le secteur automobile. De 1959 à 1973, la province d'Anvers comptabilise le plus d'investissements aidés (21%) par rapport à toutes les autres provinces belges. Au cours de la même période, elle reçoit 30% des investissements étrangers effectués en Belgique.
Si l'Etat belge est intervenu pour (faire semblant de) tenter de sauver la sidérurgie wallonne, il n'a cependant pas négligé le nord du pays. En 1934(déjà !), le Boerenbond, une caisse rurale de crédit active principalement en Flandre, est en faillite suite à des activités financières risquées, mais il est sauvé par l'Etat belge (un milliard 295 millions). L'électrification du réseau ferroviaire belge a débuté en 1935 par la ligne Bruxelles-Malines-Anvers, tandis que les autres lignes ferroviaires seront électrifiées de 1949 à 1956. La première autoroute créée par l'Etat belge sera l'E40 Bruxelles-Ostende en 1956 afin de développer le tourisme à la côte et faciliter l'accès à la mer pour le transport des marchandises. En 1970, le gouvernement donne 115 milliards de FB pour créer le port de Zeebrugge accessible à des navires de 250.000 tonnes, avec un hinterland industriel axé sur les technologies du futur. Pour mémoire, le gouvernement belge avait décidé à la fin des années 70, de donner un milliard d’investissement à la Wallonie pour un milliard dépensé pour Zeebruges, à condition que cette dernière n’en reçût pas plus que seize. 115 milliards de francs belges ont à l’époque été consacrés aux travaux de Zeebruges, en échange de quoi la Wallonie ne reçut que 16 milliards, ce qui a été, chacun en conviendra un sacré marché de dupes.
Mieux encore, alors que peu de temps auparavant, les Flamands avaient fait passer une loi de régionalisation des secteurs nationaux, dont la sidérurgie et les charbonnages, afin d’éviter que de l’argent flamand (traduisez belge) ne vienne renflouer les charbonnages wallon, sous l'impulsion du ministre limbourgeois Willy Claes, un plan de 210 milliards de FB est lancé de 1982 à 1991 pour améliorer la compétitivité des charbonnages de Campine qui ont cependant ensuite fermé leurs portes. On le voit, les « canards boiteux » chers aux politiciens et aux journaleux de la capitale ne sont pas tous wallons…
On oublie aussi, fort opportunément dans ce pays, que le traité de Rome (1957) impose une solidarité financière entre les régions afin de maintenir l’unité de l’État. Chacun des États membres de l’union est invité à appliquer ces principes de solidarité sur son propre territoire, et c’est ce qui se passe partout dans l’union européenne, sauf en Belgique. La Bavière, la région de Londres, celle de Madrid font partie des régions dites contributrices alors que le pays de Galles ou la Galice font partie des régions débitrices.
Michel Quévit a pointé la responsabilité des groupes financiers (belges et flamands) dans les disparités économiques en Belgique. Si ces groupes financiers ont d'abord investi en Wallonie, c'est en raison de la richesse minière et houillère du territoire wallon. S'ils se sont ensuite délocalisés vers la Flandre (notamment lors de la création du complexe sidérurgique de Sidmar), c'est en raison des opportunités nouvelles qu'offraient les infrastructures maritimes et portuaires créées par l'Etat belge.
Et maintenant?
Bien que la faiblesse des séries statistiques comme les difficultés de comparaisons stables sur la longue durée - autre que la Belgique, et donc autre que la Flandre et Bruxelles- les discours positifs des gouvernants ou le catastrophisme des oppositions masquent une vision claire et saine de la réalité,
L'image « bipolaire » des disparités régionales peut être nuancée par une analyse de la Commission Européenne sur la croissance du PIB par province de 1995 à 2004 : Bruxelles, le Brabant flamand et le Brabant wallon atteignent un taux de 3% ; les provinces d'Anvers, Flandre orientale, Flandre occidentale, Limbourg, Namur et Luxembourg ont une croissance qui varie de 2 à 2,7% ; les provinces de Liège et du Hainaut stagnent entre 1 et 2%.
D'après les statistiques européennes qui se sont améliorées depuis, l'écart du PIB/hab restait significatif en 2005 entre le nord et le sud du pays : 87,5 pour la Wallonie et 120,1 pour la Flandre (moyenne au sein de l'UE : 100). La Flandre n'est cependant pas reprise dans la liste des 15 régions les plus prospères de l'UE et la Wallonie parmi les 15 régions les plus pauvres de l'UE (qui appartiennent à l'ancienne Europe de l'Est). On remarque aussi que le PIB/hab de la Wallonie est semblable à d'autres régions industrielles comme les Asturies (90,2) ou le Nord-Pas de Calais (88,6).
Je trouve que l'attitude qui consiste à se replier (tiens, un "repli bruxellois", on n'en parle jamais) en réclamant les territopires les plus développés des autres ressemble fort aux "replis égoïstes" tels ceux de la "Ligue de Nord" en Italie ou encore d'autres. Je vous invite à lire cet avis du Professeur Quévit : http://www.lalibre.be/actu /elections-2010/article/64 4259/quevit-une-region-brabant-ne-serait-pas-une-bonne-idee.html.
Les révisions successives de la Constitution ont eu pour effet de commencer à faire sortir la Wallonie de la Belgique. Maintenant, qu’attendons-nous pour sortir la Belgique de la Wallonie ? Et refuser de continuer à vivre dans le mensonge des dirigeants des partis politiques traditionnels et de leurs affidés. Après tout, leur position favorite reste la... position démissionnaire. Il semblent bien incapable d'en imaginer d'autres !
(*) Je sais que d’aucuns vont encore réagir de manière épidermique à mes propos. Mais l’Histoire des 180 dernières années a bien montré que Bruxelles n’est pas du tout la mégalopole fécondante que certains se plaisent à décrire ou à imaginer. Il est évidemment difficile en quelques lignes de dépasser bien des antagonismes en les traitant avec nuance, en montrant qu'ils sont par bien des aspects quelque part obsolètes (largement les antagonismes entre Wallons et Flamands, mais aussi - surtout - entre Wallons et Bruxellois francophones, mais certainement pas dans le sens d'un unitarisme belge, ni dans le sens d'une réunification de la Belgique francophone).
(**) Un bel exemple, Francis Delperée (hé oui…) déclarait à un colloque du mouvement wallon le 26 février 1976 à Charleroi que la Wallonie est autre chose qu'une population, « une collectivité d'hommes, c'est-à-dire qu'elle regroupe un peuple qui peut se réclamer de traditions particulières et qui est à même de poursuivre des objectifs qui lui sont spécifiques »…