Lettre à des Wallons et à des Flamands,
démocrates, militant chacun pour sa patrie – la terre de ses aïeux – et pour l’Europe
sur le divorce belge
La présente lettre répond à un devoir qui m’incombe me semble-t-il à l’occasion de mes 90 ans et au bout de 75 années de militances diverses et complémentaires, pendant un demi-siècle en couple.
Jeune, j’avais découvert les mouvements wallon et flamand ; plus tard, la nécessaire mise en cause des Etats-Nations – souverains- et su pendant les années de guerre 1939-1945 et plus tard, agir avec des Flamands (1).
Quand des femmes et des hommes du nord et du sud de la Belgique ont ensemble dans la durée œuvré en faveur d’autres peuples, en particulier dans mon cas, les Kurdes et les Palestiniens, il devrait leur être plus facile de se respecter l’un l’autre dans ses différences d’hier et d’aujourd’hui et de dialoguer, les yeux ouverts, par rapport au « divorce belge », titre de l’ouvrage prémonitoire publié en 1968 déjà par mon ami feu Lucien Outers.
Autour de soi aujourd’hui, l’on voit beaucoup de couples divorcer mais ces échecs peuvent générer du bien ; il en est de même pour des communautés humaines plus larges.
Le présent message est donc un appel à un dialogue novateur au-delà des vaines oppositions et négociations entre formations politiques, mais comment réussirions-nous là où l’on a bien souvent échoué ?
En vue d’une nouvelle forme de dialogue, même si je vois bien des chevelures se hérisser, je crois devoir toucher à un tabou de part et d’autre, celui de la Région de Bruxelles, compte tenu des changements majeurs qu’elle a connus au fil du 20e siècle et surtout depuis 1957 avec l’installation des Communautés européennes et ses conséquences.
Beaucoup regardant surtout en arrière, n’ont pas vu comme je m’y essaie avec mon regard de sociologue de flagrantes réalités nouvelles :
- Près de 100.000 fonctionnaires européens y compris les membres de leur famille,
- Des milliers de membres de familles de diplomates auprès de l’Union européenne et de l’OTAN y compris des représentants de plus de 100 Régions d’Europe,
- Des milliers d’agents de groupes de pression : syndicats agricoles, de travailleurs manuels ou intellectuels, organisations patronales, d’entreprises multinationales,
- De nombreux emplois induits dans les services,
- Des dizaines de milliers de travailleurs venus de l’Europe des 27, donc avec un futur statut privilégié,
- Aussi beaucoup venus d’Afrique et d’Asie,
- Outre l’énorme caprice des dieux du Parlement européen, d’autres millions de m2 « européens »,
- Plus de 40 % de naissances non belges.
- Les mosquées plus fréquentées quotidiennement que les églises.
La situation est donc plus insidieuse que lors des marches flamandes sur Bruxelles des années 1960 et l’affrontement : Flamands contre Francophones. Mais c’est peut-être l’heure – rêvons – de leur solidarité par exemple contre le rouleau compresseur de l’anglais.
L’on semble ignorer que la donne des cartes a totalement changé ; et qu’il y a les contraintes du droit international : jamais la Flandre ne pourrait devenir indépendante « en emportant Bruxelles » « ni la Wallonie se rattacher à la France avec cette ville-région » la principale des trois capitales européennes.
Enfin, si l’on ne veut pas continuer à renégocier de décennie en décennie des réformes constitutionnelles frustrantes pour les uns ou pour les autres ou tous les deux, il faut négocier une séparation de corps par consentement mutuel en contournant la pomme de discorde qu’est Bruxelles.
De nouveaux Etats ne peuvent naître qu’avec l’assentiment de la majorité des membres de l’ONU et l’unanimité de son Conseil de Sécurité y compris deux de nos voisins. Il ne s’agit pas de courir l’aventure du Kosovo, donc il faudrait une requête commune des trois ou quatre composantes de la Belgique.
Il faut que la Commission européenne se « mouille » dans cette affaire comme conciliateur et acteur, vers quoi ? Une entité européenne supranationale en évitant le piège des mots tel celui de district : Bruxelles-Europe, ou Bruxelles-Capitale européenne ou Bruxelles – Pluriel….
On y pondèrerait dans le Corps électoral, l’Assemblée et l’Exécutif :
- les Belges francophones,
- les Belges néerlandophones,
- les citoyens des 26 autres Etats de l’Union,
- les étrangers venus d’ailleurs ayant un statut régulier depuis x années.
Tout cela, c’est rejeter la plaisanterie indigne d’un grand juriste : le confédéralisme, c’est le fédéralisme des c… .
Au contraire, il faudra l’imagination d’experts et d’hommes de terrain pour aboutir à un statut nouveau ainsi qu’à des relations et des interactions avec les territoires voisins des Wallons et des Flamands. Déjà, l’on peut participer aux élections municipales à Uccle et à Neuilly de même qu’ici ou là aux européennes.
Aux citoyens de Bruxelles, compte tenu de ma belle-famille en ce lieu où en outre j’ai vécu 12 ans et travaillé 30 ans, je dis : « la piste que j’essaie d’ouvrir ne fait pas de vous des citoyens de seconde zone mais de la toute première, l’européenne compatible avec un lien flamand ou wallon privilégié ».
Chers amis de notre peuple wallon, chers militants flamands, mes voisins, plutôt que de nous affronter, agissons ensemble vers l’avenir.
Louvain-la-Neuve, le 06/10/10
Jean-E. Humblet
* Né à Liège le 07 octobre 1920.
Docteur en droit de l’UCL,
Docteur de l’Université de Paris,
Docteur en Sciences sociales de l’ULB,
Ancien Sénateur fédéral et Député wallon.
(1) Voir mon livre « Témoin à charge » Ed. Artel Erasme, Namur 1990 page 64a.
P.S. : Pour les curieux, voir :
- Wikipedia (très correct mais très incomplet),
- l’Encyclopédie du Mouvement wallon, Institut Jules Destrée, Charleroi 2000, dans la vingtaine des plus longues entrées, tome 2, pages 223-225,
- Fondation wallonne P.-M. et J.-F. Humblet, hommage à Jean-E. humblet, Louvain-la-Neuve 2000,
- Le Soir, samedi 9 mai 2010, page entière.