En 1995, lors du troisième congrès : « La Wallonie au Futur » « Quelles stratégies pour l'emploi », l’économiste Yves de Wasseige avait fait un remarquable intervention sous le titre :
« Éléments d'une stratégie de développement pour la Wallonie ».
Dans ce long texte - quasi un programme politique – on retrouve la proposition de valoriser l'épargne wallonne au bénéfice de la Wallonie. Certes, ce n’est pas nouveau, Dehousse, puis Collignon, alors ministres présidents de la Région en avaient également rêvé. Relisons le :
« Il manque gravement d'une banque wallonne; toutes les banques sont nationales, étrangères ou flamandes. Même les banques dites nationales ont des stratégies de crédit qui ne tiennent pas compte des structures et des besoins ni des entreprises wallonnes, ni du secteur associatif et non- marchand wallon.
Toutes les banques exigent des PME comme des associations des garanties excessives pour les prêts qu'elles consentent, ajoutant aux garanties financières normales des garanties personnelles des gérants ou des administrateurs. Ces exigences excessives et injustifiées freinent considérablement les initiatives de création de nouvelles activités et donc d'emplois, qu'il s'agisse d'indépendants, de PME, d'associations ou d'entreprises d'économie sociale.
Une banque wallonne pourrait drainer l'épargne wallonne et surtout adopter une politique de crédit mieux adaptée aux besoins de développement de la Wallonie. Ce ne doit pas être impossible puisqu'on voit d'ailleurs se créer et se développer de nouvelles banques ayant un objectif éthique ou social ».
Comment dire mieux l’intérêt de ce type d’institution?
Le Gouvernement wallon vient d’annoncer la création d’une « Caisse d’investissement de Wallonie », déjà présentée comme une « banque ». Il y aura donc bien appel à l’épargne publique, aux taux déterminés par le marché à son lancement, dès avril 2009. Tout citoyen pourra y souscrire, mais, et ce n’est que justice, l’incitant fiscal (les soustractionnels à l’IPP qu’autorise la loi de financement) sera réservé aux seuls résidents de Wallonie. La garantie de la Région sera accordée à 100 %. Les nouveaux moyens dégagés seront investis en particulier dans des sociétés actives dans le développement durable, autre bonne nouvelle.
Il était grand temps ! J’en ai déjà parlé. Alors que nous avons dépendu du système financier belge qui ne nous a jamais gâtés (*), la Flandre a eu la chance de voir son mouvement d’émancipation soutenu et partagé par les milieux économiques (et plus discrètement, mais tout aussi efficacement, par les milieux syndicaux). C’est ainsi qu’est née il y a plus d’un trois quart de siècle la Kredietbank. Et quand on sait le rôle qu’elle a joué dans le développement de la Flandre y compris avec l’épargne wallonne via sa filiale devenue la KBC, on ne peut que regretter qu’une telle institution n’ait pas vu le jour en Wallonie plus tôt.
Et aux beaux esprits qui ne manqueront pas de jeter la suspicion sur l’influence supposée des politiques sur le devenir de cette institution, je répondrai que ce n’est pas parce qu’on est adhérent à un modèle politique qu’on est nécessairement incompétent. En matière financière, des non-politiques viennent de démontrer brillamment le contraire.
Et rien que pour le plaisir, je vous offre un autre passage de son intervention : « Opérer un rapprochement avec la France ». Le lien avec la première partie découle des derniers événements du monde bancaire. Le propos de de Wasseyge n’en est que plus pertinent.
« Quels que soient les rythmes de développement que prendra l'Union européenne, on est sûr de deux grandes orientations: un renforcement d'un noyau restreint autour de l'union monétaire et une extension plus lâche à un plus grand nombre de pays.
Rien ne se fera en Europe sans un accord entre l'Allemagne et la France ou bien il n'y a plus d'Europe et les pays européens se trouveront isolément confrontés au marché mondial, en concurrence directe et violente les uns avec les autres, ce qu'aucun pays européen ne souhaite.
Quel que soit l'avenir, la Wallonie a tout intérêt à accrocher son wagon à une locomotive. Dès lors, elle n'a pas d'autre choix que la France. Les tendances actuelles y concourent d'ailleurs déjà: participations importantes de firmes françaises dans des entreprises wallonnes de valeur, courant d'échanges commerciaux importants avec le marché français, parité monétaire stable entre franc belge et franc français, inflation faible comparable.
Outre l'adhésion à une même culture générale qui tire ses principes de la Révolution française et d'une langue commune, la Wallonie a également une proximité politique avec la France: même structure administrative (communes-province-région équivalent à municipalités- département-région), même architecture du droit (droit civil, droit commercial notamment) et des structures judiciaires, mêmes organisations sociales: syndicats, patronat, classes moyennes.
Si les mouvements centrifuges de la Flandre à l'égard de l'Etat belge continuent à se développer -ce que tout porte à croire- la Wallonie devra nécessairement opérer une alliance avec un grand pays, en fait la France.
Tout porte donc à opérer dès à présent dans le domaine politique, scientifique et social un rapprochement qui existe déjà dans le domaine économique et industriel, ainsi que dans le domaine culturel.
Cela n'implique évidemment pas un soutien à toute politique de la France, notamment dans sa politique de reprises des essais nucléaires militaires. Il est temps pour la Wallonie de se distancer nettement et systématiquement de l'intolérance rabique de certains milieux flamands à l'égard des initiatives des entreprises françaises.
Ce rapprochement n'obère évidemment pas les relations transfrontalières de proximité, comme l'EUREGIO (Liège, Maastricht, Aix-la-Chapelle), les Lorraines (Luxembourg, Grand- duché et Lorraine française) ou celles de la province de Hainaut avec la Région Nord-Pas de Calais ou d'autres encore. Bien au contraire, ces échanges de proximité pourraient s'en trouver renforcés. »
(*) Il suffit de se rappeler, par exemple, que le système financier belge (Société générale, Lippens, Davignon et Cie…) ne s’est guère préoccupé de la Wallonie en choisissant délibérément et sans scrupules d’investir dans la sidérurgie maritime dans les années ’50 au détriment de la sidérurgie wallonne, condamnant notre région à la pire crise de son histoire. Il faudra décidément un jour faire le bilan de ce que la Belgique nous a coûté…