« Les fondamentaux de la Belgique sont bons »… propos rassurants mais imprudents en réponse à l'agence de notation Fitch qui vient de mettre la note de la dette publique de l'état belge sous implication négative. Il s’agit généralement d’une étape formelle qui précède de quelques semaines la décision de dégradation. Or, la « note » à long terme appliquée à la dette fédérale est déjà AA+. Concrètement, si une implication négative se transforme en dégradation, ça veut dire qu’un état qui se présente sur les marchés financiers pour placer les titres de sa dette publique devra rémunérer plus cher les prêteurs - de l’ordre d’un quart de pourcent - pour lever la même somme ce qui est considérable (actuellement, 4,2 %.pour la Belgique et un peu au-dessus des 3 % pour nos voisins). Le différentiel avec les pays voisins notés AAA va aggraver au risque de rendre plus difficile le financement du contrat social, qui est parmi les fonctions redistributives de l'état, celle qui consomme le plus de ressources.
Fitch a donné les raisons de cette dégradation possible : « l’absence de perception de solution à la crise institutionnelle », démontrant ce que les promoteurs wallons du fédéralisme avaient clamé : le socio-économique et l’institutionnel sont inséparables. Penser que ces volets puissent être traités séparément est une erreur. On ne peut concevoir une politique économique, sociale et fiscale en dehors d'un cadre institutionnel stable. Les Francophones qui se disent très attachés au contrat social doivent se méfier.
Et, guidés par l'émotion, c’est le moment que choisissent nos apprentis sorciers pour donner le jour à une « fédération Wallonie-Bruxelles » dont le ministre-président bruxellois dit qu’il faut voir dans cette initiative - embryon d’un état hybride - la manifestation d’une volonté de coopération entre les Régions wallonne et bruxelloise « en réponse aux revendications flamandes ». On n’est plus là dans le débat « communautaire » puisqu’on est clairement sorti du cadre culturel de la Communauté française, la Région de Bruxelles, partie prenante de la dite fédération, étant officiellement bilingue et se voulant « multiculturelle ». ue deviennent les bruxellois des autres cultures, à commencer la Flamande dans ce machin ? Pensons simplement aux propos de Demotte qui a annoncé que l'enseignement flamand à Bruxelles serait... géré par la fédération nouvellement créée... Certes, il existe une identité bruxelloise (réelle, au-delà des appartenances linguistiques des bruxellois flamands ou francophones) qui différencie cette région des deux autres avec même un parti politique objectivement et régionaliste et bruxellois qui les représente. Mais dans ce cas, pourquoi aller aussi loin et donner corps à ce qui n’était qu’une hypothèse alternative au fédéralisme actuel sous forme d’un début d’application d’un « plan B » ? Une alliance de fait, Bruxellois et Wallons contre Flamands, favorisant une logique d’affrontement risquant de faire de Bruxelles en un Sarajevo potentiel ? Si ce machin avait été renommé « Fédération des locuteurs francophones de Wallonie et de Bruxelles », c'eût été plus correct et j'aurais évidemment réagi différemment. Or, ce n'est pas le cas, loin de là, le site Internet de l'aile bruxellisssime unitariste (et annexionniste !) du MR parle à plusieurs endroits d'un « état Bruxelles-Wallonie », allant à l'encontre de son sympathique slogan des années '70 : « Bruxellois, Maître chez toi», et surtout de l'opinion publique locale majoritaire de la population qui n'en veut pas si l'on en croit les sondages répétés...
On le voit, dans le choix politique qui a été fait, il ne s’agit ni de recentrer l’organisation de ce pays sur des régions homogènes, ni d’affirmer le principe du fait régional que ces partis n’acceptent qu’à contre cœur.
Il est temps de se ressaisir. Les partis traditionnels sont tombés dans la logique de l’affrontement communautaire, piégés par la volonté de concilier les intérêts de leurs deux ailes régionales. Et plus particulièrement par les calculs électoraux de partis sociologiquement bien implantés en périphérie bruxelloise. Dans ce cadre, leur politique de refus d’admettre que les frontières des territoires ont été fixées par les lois linguistiques de 1873 à 1963 et de maintenir l’acquis de ce qui a été négocié depuis des décennies est suicidaire. Il faut arrêter la folie de dire que l’on va élargir le périmètre de Bruxelles. Evidemment, il faut du courage pour changer de discours et reconnaître que l’on a trompé « à l’insu de leur plein gré » ceux qui habitent la périphérie et qui parlent français tout en sachant parfaitement que la langue de la région est le flamand.
Or, seule une refondation du pays sur base de quatre (états ?) régions égales en compétence et en droit permettrait de sortir des ressentiments linguistiques ou ethniques en objectivant des territoires sur base d’espaces définis. C’est le cas partout en Europe. C’est le territoire qui détermine la citoyenneté, non la langue. Il faut pouvoir en finir avec les combats symboliques. C’est la clé de la paix. Sinon, une seule chose reste sûre et prévisible. Ce n’est pas le contenu des nouvelles réformes de l’État, ni la nouvelle clef de répartition des richesses du pays ou la liste des domaines préservés à l’issue éventuelle des négociations qui poseront problème. Quelle que soit la liste définitive des revendications flamandes qui seront acceptées par les partis francophone, la seule chose qui soit prévisible, c’est que les Flamands se percevront toujours comme les perdants à l’issue de toutes ces tractations, et il y a fort à parier qu’ils cultiveront encore longtemps ce ressentiment. En d’autres mots, demain, rien ne sera définitivement réglé car ce ressentiment est devenu à ce point obsédant qu’il structure toute la vie politique.
Si une réforme institutionnelle transparente, simple et cohérente, n’est pas rapidement décidée, l’évaporation de l’Etat sera le fait de décisions prises ailleurs. La crise perdurant, la bataille du socio-économique sera perdue parce que la crédibilité de la capacité belge de remboursement de sa dette aura été dégradée. Pensons à l'Irlande où les prêts de restructuration ont été consentis à ...5,5 %, correspondant à un arrêt de mort pour les finances de ce pays exsangue. Chez nous, mourir pour BHV, ce sera rendre le fonctionnement du contrat social impossible. Tous les belges seront perdants, les plus faibles en premier. C’est aussi ruiner les effets du redressement de la Wallonie.