J’ai été volontairement silencieux sur la proposition faite la semaine dernière par Marie Arena de réunir politiques et société civile en vue de définir un projet francophone.
Pour trois raisons, la première, c’est qu'il s'agit d'une initiative d'Elio Di Rupo et que je m’interroge encore sur le côté purement tactique de reprendre la main après l’échec prévisible de la proposition de Didier Reynders de fusion des institutions francophones. Tactique aussi au moment où, malgré le secret, on voit bien que les négociations fédérales sont enlisées et que le que la fin du pays est proche gagne la population.
Ensuite, la symbolique a, comme toujours, son importance, les débats du dimanche l’ont montré, les partis francophones s'entre-déchirent quand ils parlent de leur avenir... En quoi une Commission, sans pouvoirs, à la composition laissée à la discrétion de (oui, qui au fait ?) serait-elle différente d’un « front des francophones », cette machine molle d'avant les élections, qui nous avait infiniment mieux renseignés sur les divisions que sur la cohésion des partis.
Et enfin, les questions destinées à baliser la réflexion me laissent un sentiment de perplexité.
1° Quel projet pour les francophones dans l'Etat fédéral actuel ?
2° Comment concilier l'identité régionale et le lien, la solidarité entre les francophones de Bruxelles, de Wallonie et des communes périphériques à la frontière linguistique ?
3° Quelles synergies concrètes dans quelles politiques ? Comment dépasser certaines concurrences, notamment en matière économique ? Quels liens avec les Communautés flamande et germanophone ?
4° Quelle place pour les francophones au sein de la Belgique, de l'Europe et du monde ?
5° « Et si demain, on devait se séparer ? »
Ou, elles restent confinées à des questions qui auraient du faire l’objet de débats et de résolutions dans le passé, en particulier lors de la publication du programme du gouvernement flamand du… 29 février 1996, appuyé par une large majorité et elles arrivent fort tard. On risque plutôt de débattre du… programme flamand en « commission des sages ».
Ou, comme c’est le cas pour les deux dernières, il est plus que temps. Mais je crains que la composition de la commission ne se limite à certaines pistes déjà balisées comme le résidu de Belgique où, comme je l’ai lu - curieusement - sur le site du RWF : « une association étroite, culturelle, économique et politique avec la République française ».
Même si c’est la Ministre - présidente de la Communauté française, qui est officiellement porteuse de ce projet, je m’interroge depuis quelques temps sur la volonté des deux partenaires de construire quelques chose ensemble. Existe-t-il (encore) vraiment aujourd’hui des arguments qui corroborent la logique d’un espace Wallonie-Bruxelles ?
Luc Courtois, historien à l’UCL rappelait dans « La Libre » qu’« il n’y a rien, dans l’histoire, qui oblige à aller vers tel ou tel projet. Les identités sont des constructions intellectuelles et symboliques. Elles s’enracinent dans un substrat historique et sociologique, mais celui-ci ne suffit pas ».
Marc Jacqmain, Responsable du service des identités contemporaines (ULg), n’a « pas trouvé d’argument massue en faveur d’un espace Wallonie-Bruxelles ». Faute de données suffisantes.
Certes, il y a bien une communauté de langue. Et encore est-elle partielle. La francisation de la capitale ces dernières décennies et le fait que deux tiers des dépenses culturelles de la Communauté française ne peuvent être géographiquement localisés ne sont pas non plus des arguments suffisants. Il y a aussi des différences sociologico-historiques.
Je suis très dubitatif parce qu’actuellement, côté francophone, on est dans la confusion la plus totale sur les perspectives d’avenir (forcément quand on a été demandeur de rien pendant des années, comment pourrait-on penser àa quelque chose ?). En plus, malgré un potentiel certain, à part quelques mouvements peu représentatifs, le mouvement régionaliste wallon qui était encore fort voici quelques années n’est plus représenté que par Happart et Van Cau… On peut ainsi se demander s’il n’y pas en fait des années que la prise de position annoncée par Arena est préparée. Elle coïncide la confirmation du pouvoir de Di Rupo. C'est à dire au moment où le PS a définitivement cessé d'être wallon. Après la mise sous tutelle de la plus puissante fédération wallonne du PS, celle de Charleroi, plus rien ne s'oppose chez eux à la création éventuelle d'une Belgique résiduelle qui passerait la Wallonie à la trappe avec un recentrage sur Bruxelles.
Dans le même temps surgit un mouvement intra-bruxellois. Il est le fait des deux communautés principales (traditionnelles) de Bruxelles mais aussi d’autres communautés présentes dans la capitale. Qui réfléchissent à un autre modèle pour la Région et rêvent par exemple à un enseignement bilingue. Certes, cela reste une affaire de quelques élites. Mais des élites d’origines diverses et qui impriment un mouvement réel. On l’a vu avec l’histoire du Mouvement flamand, c'est efficace. Sous la pression de l’urgence et l’influence prise par les médias depuis deux siècles, je m’inquiète de ce nouveau nationalisme. Si, insidieusement, il n'était au départ que résistance sympathique et assez légitime provoquée par l’intransigeance flamande, il en devient l’allié en étant maintenant alimenté de plus en plus par un sentiment de rejet, si pas de mépris, pour la Wallonie. Wallonie vue par les médias dominants à Bruxelles et par certains politiques de premier plan, comme une région qui se serait volontairement enfoncée dans la crise. La revendication territoriale portés, par ailleurs, par les politiques bruxellois de premier plan, essentiellement sur base de leurs intérêts économiques, d’absorption (d’annexion ?) des provinces du Brabant wallon et flamand fait irrésistiblement penser à celles d’autres régions riches européennes comme la Padanie ou…la Flandre.
Vincent Coorebyter (CRISP) rappelle que « l’identité francophone n’a jamais été le souci premier des Bruxellois. Que si la francisation de la ville est incontestable, dans le même temps, les relations entre francophones et néerlandophones n’ont jamais été aussi bonnes, les Flamands de Bruxelles sont maintenant convaincus qu’ils ont besoin d’une Bruxelles forte ».
En contraste, la Wallonie a toujours manifesté une solidarité sans faille avec les Bruxellois francophones, ce qui a permis d’obtenir, malgré l’opposition de la Flandre, l'existence de la Région de Bruxelles. (Au prix de l’abandon des Fourons, entre autres…). Il y a là plus qu’un terrible malentendu. Mais est-ce vraiment un malentendu, c’est la question que je me pose aujourd’hui.
A l’instar de Vincent de Coorebyter (CRISP), devant la largeur et l’indétermination du champ de la réflexion qui est lancée, je pense que nous allons nous trouver (enfin « nous », eux plutôt !) devant « un chantier potentiellement aussi long et complexe que celui du projet fédéral ». Ce ne sera pas un exercice dénué d’intérêt ou de vertus. Ne fusse que de voir comment on va répondre à l’émergence, sur la scène politique, d’un nouveau schéma : la Belgique à quatre, avec quatre Régions linguistiques, des Communautés-Régions. Shéma qui répondrait aux souhaits des tenants de la nouvelle « nation bruxelloise » et aux demandes germanophones de se voir également confier toutes les compétences régionales. Quand on pense qu’Arena en est encore à estimer que c'est un travail de définition d’identité qui est la priorité et que ce qu'elle appelle « la tuyauterie institutionnelle » doit venir, si nécessaire, ensuite...
Pas simple. Comme on le voit, tout peut sortir de cette initiative. Même le pire, en particulier si on raisonne avec un sentiment d’urgence puisque l’échéance est fixée à fin 2008.
Qu’est-ce qui décidera alors de notre avenir commun ?
De toute façon, l’issue s’imposera. « L’identité est quelque chose de contingent. Le projet politique prime, si la volonté majoritaire est de créer quelque chose qui fonctionne » rappelle l’historien Luc Courtois. Tous les Etats sont en partie accidentels, en partie enracinés dans une réalité, en partie construits. La nation flamande a petit à petit construit son identité d’abord sur des arguments inventés (le mythe de la bataille des Eperons d’Or ou celui des Flamands brimés par les « fransquillons », ces Flamands oppresseurs joyeusement confondus avec les Wallons dans leur imaginaire) pour ensuite passer à des arguments concret, réalistes mais toujours (re)construits en faveur d’un projet conçu de longue date.
Certains ont déjà choisi, Luc Delfosse du Soir a été assez clair : « en cas d'éclatement du pays, cette Commission aura au moins jeté les bases d'un projet de vie francophone ».
Ma crainte, c’est que le projet Arena-Di Rupo en aille de même pour l’ensemble Wallonie & Bruxelles. Parce qu’autour du nouveau projet politique, il faudra construire un argumentaire en convoquant les éléments concourant à cette thèse et en écartant les autres.
Ceux en faveur de la solution française en premier.