A l’heure où j’écris ces lignes, nous ne savons pas encore quelle sera la décision des dirigeants de la Communauté (Région ?) de langue allemande. Mais peu importe. C’est l’occasion de prendre du recul et de mettre des tabous en question. Après tout n’est-ce pas notre rôle ? Dire comme le fait certain parti qui se veut à l’avant-garde de l’action wallonne qu’il ne faut pas, en termes de programme, aller vers des sujets qui fâchent arguant que le pluralisme est sa richesse. Citant en exemple le Rassemblement Wallon (qui lui avait bel et bien un programme institutionnel, social, culturel et économique d’avant-garde) qui se serait déchiré pour cette raison, alors que ceux qui s’en souviennent savent qu’il a été détruit par l’autoritarisme et le manque de vision politique de son dirigeant de l’époque qui préférait, alors comme aujourd’hui, surfant sur l’émotivité de militants de base peu éclairés, les attaques « ad hominem » aux débats d’idées. Mais soit, ne tirons pas sur l’ambulance.
Il n’est pas suffisant, ni même efficace d’appeler à voter sur base d’une conviction, sans étayer celle-ci d’arguments solides. C’est même irresponsable. Osons dire la vérité. Osons sortir de la pensée unique. Oui, il faut aller vers la scission de BHV. Oui, il faut accepter la création d’une région (de langue) allemande autonome.
Ou rester définitivement belge (c'est-à-dire, même plus Wallon !) à jamais !
Rationnellement, en dehors de la défense de quelques droits individuels qui ne sont que fort peu menacés, pourquoi faudrait-il « mourir pour BHV » ? Pour sauver la Belgique ? Allons, arrêtons de rire !
Faut-il rappeler que les fédéralistes dans le mouvement wallon ont décidé depuis 1923 et la démission de Jules Destrée (*) de l'Assemblée wallonne (**) de ne plus défendre les Flamands francophones, au moins comme collectivité. Le groupe « Destrée » se disant clairement « séparatiste et ne voulant plus défendre les francophones de Flandre ». Il préconise « une solution fédéraliste car il estime que la défense de la langue française en Flandre permettrait alors les mêmes revendications de la part des Flamands pour la Wallonie ». C’était il y a 86 ans… Et Philippe Moureaux (Bruxellois-PS) n’affirme-t-il pas d'ailleurs dans « Le Soir » de ce jour qu'il faut négocier « sans tabou, en acceptant des concessions ».
A l’heure où le FDF veut exporter les problèmes communautaires bruxellois en Wallonie, faut-il donc continuer à défendre le principe (initialement provisoire avant d’être bétonné, remis en question, re-re-bétonné, etc…) des facilités linguistiques ? Ce principe ne se justifie que si on réfléchi à un avenir dans le cadre belge avec une extension (comprenez une division de la société) de la « diversité culturelle » (lisez du communautarisme).
Nous manquons décidément, en Wallonie, d’hommes de conviction et de responsabilité comme Jules Destrée ou François Bovesse.
Revenons-en aux facilités. Et adoptons un point de vue de raison sur leur maintien par rapport à la cause de la réunion de la Wallonie à la France, peu important ici la manière dont cette réunion se ferait.
Si le destin de la Wallonie et de Bruxelles, en cas de scission de la Belgique, a fait l’objet de quelques publications ces dernières années (pensons aux écrits de Demelenne, Javaux ou Gheude) ces écrits font l’impasse sur un obstacle majeur. La France, qui est sans minorités nationales, où tous les citoyens sont égaux devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion se verrait confrontée de facto – dans la situation actuelle – à une situation contournant la Loi républicaine puisque devant intégrer, dans le cas de Bruxelles de nouveaux citoyens (mais peut-on encore parler de citoyens dans ce cas) qui revendiqueront le respect scrupuleux de leurs droits, linguistiques et politiques, au sein de l’Etat français, en l’occurrence un équivalent du statut particulièrement avantageux qui est le leur à ce jour dans la future ex-capitale belge. Ils n’y représentent que 10% de la population, mais occupent, quel que soit le résultat des élections, un quota forfaitaire d’un peu plus de 20% des sièges au Parlement bruxellois, sans compter d’autres avantages.
Il pourrait en être de même pour les habitants des communes de Wallonie avec facilités en néerlandais (Comines; Mouscron; Flobecq; Enghien). Et je n’oublie pas les Fourons annexés pour lesquelles il faudra trouver une solution.
Et enfin, quid des 70 000 habitants concentrés dans les neuf communes composant la Région linguistique germanophone en plein processus d’autonomie ? (***)
La voie qui nous mènera vers la France sera celle d'un Etat intermédiaire (Wallonie), les citoyens, le Parlement wallon... le voudront ainsi. Les vues assimilationnistes de certains n’ont aucun avenir immédiat. Ces derniers parlent aussi d’obtenir pour la Wallonie et Bruxelles un « statut particulier dans la République », un statut comme celui de la Corse, « dont l’assemblée et l’exécutif possèdent des pouvoirs plus élargis que les autres régions », de l’Alsace, avec son régime local de Sécurité sociale, son enseignement religieux et ses classes bilingues héritées de l’occupation allemande, voire de la Polynésie, « dotée depuis 2004 d’une autonomie renforcée ». En juillet 2008, souvenez-vous, Daniel Ducarme, a concocté avec un groupe de juristes belges francophones et français une loi organique composée de pas moins de 132 articles constitutifs d’un « statut d’autonomie de la Belgique française ». Ce texte établit les bases d’une association « à la polynésienne » de la Wallonie et de Bruxelles avec la France… Certes, une possibilité parmi d’autres.
Quelle que soit l’approche entre l’association d’Etats, réaliste pour la République et l’assimilation brutale difficilement acceptable par les « assimilés », il me parait inconcevable que la France accepte une modification radicale de sa nature même en introduisant chez elle la reconnaissance de minorités. Renonçant de fait à sa qualité d’Etat-nation. Elle ne pourrait, en effet, ensuite refuser aux uns, à tous ceux qui y militent pour l’établissement d’un ordre ethnique, ce qu’elle aurait accordé à d’autres. Au lieu de renforcer la France, l’arrivée de ces « Belges néo-francophones » risquerait au contraire de la détruire.
Voilà une belle raison de militer pour la suppression des facilités et en revenir à l’homogénéité linguistique des territoires. Y compris pour la future quatrième région. Robert Collignon l’avait pressenti comme il l’avait rappelé dans une interview à John Erler, parue dans Le Matin du 16/7/98.
Il faut savoir que tout cela se passe dans un débat géostratégique qui dépasse le cadre belgo-belge. Restons dans le cadre de la région de langue allemande, on l’a vu, le parti autonomiste PRO-DG a le vent en poupe. Karl-Heinz Lambertz, plaide pour davantage d’autonomie. Ce qu’on sait moins, c’est qu’il est aussi partisan d’une mise en réseau des minorités en Europe. Son gouvernement et son Parlement se tourne vers l’Allemagne, en vue d’une interconnexion aussi étroite que possible avec le land voisin de Rhénanie du Nord-Westphalie, mais aussi qu’avec des minorités allemandes dans différents Etats européens (Italie, Hongrie, Roumanie). Rien que de très logique. Après tout, nous en faisons de même dans ce qu’on appelle le monde francophone.
Plus inquiétant, depuis quelques années, la Communauté germanophone s’est rapprochée de la FUEV (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen/Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes) où elle figure parmi les « institutions étatiques » qui la soutiennent financièrement. La FUEV, dont le siège se trouve à Flensburg (Schleswig-Holstein), poursuit la politique des minorités menée par l’Allemagne dans les années 1920-1930, y compris les « congrès des nationalités ». L’un de ses objectifs est l’attribution de droits collectifs aux minorités, pour une recomposition de l’Europe en fonction de critères ethniques.
Très proche du ministère fédéral allemand de l’Intérieur, qui participe à son financement, cette ONG a su imposer son influence au sein du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Son lobbying intensif a fait d’elle un des maîtres d'œuvre de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires (1992) et de la convention cadre pour la protection des minorités nationales (1995). Ces textes contribuent tous à « l’ethnicisation du politique », et amputent d’autant les conquêtes de la Révolution que sont les droits individuels de l’Homme et la volonté de vivre ensemble dans une communauté voulue que l’on appelle « nation ». « Une et indivisible » dans le cas de la France. Dans l’hypothèse d’un éclatement (ou plutôt d’une évaporation si nous n’en prenons pas l’initiative) de la Belgique et de la réflexion autour d’une réunion de nos régions (je reste volontairement vague !) à la France, nous aurons donc une grande responsabilité et il est important de peser tous les aspects, dans l’intérêt même de la France. En intégrant tels quel « les reliquats de la Belgique », la République ouvrirait ses portes à la FUEV qui travaille à son démantèlement !
Quel que soit l’avenir, il faut se prémunir de tout communautarisme (et pas uniquement linguistique d’ailleurs… que penser de l'introduction du débat sur les « accomodements raisonnables » ?). Sous couvert de promouvoir une certaine diversité – signe de richesse- une certaine Europe vise aussi à détruire les (vrais) Etats nations qui font l’originalité de notre modèle de développement par leur cohésion interne et l’émulation qu’ils entretiennent entre eux. C’est la vraie diversité.
Je devine que ce billet ne plaira pas beaucoup aux intégristes vociférants de tout bord. Mais comme l’écrivait Paul-Marie Coûteaux, « Tout reste possible aussi longtemps que la politique existe. Sans la politique, qui ressaisit les êtres et les hisse à la hauteur de l’histoire, les hommes sont perdus de solitude ».
A nous de définir pour notre région un projet qui soit vraiment politique.
(*) Il rejoindra le « Comité d’Action wallonne de Liège » qui deviendra la « Ligue d’Action wallonne ».
Faut-il rappeler que le premier congrès de la Ligue d’Action wallonne en 1924, ce Congrès fût qualifié «d’autonomiste » parce qu’on lui a reproché de revendiquer l’autonomie wallonne et ainsi « d’adhérer au programme flamingant » (…). Les participants étant qualifiés avant tout d’anti-belges et se proclamant déjà eux-mêmes « réunionistes ».
Jules Destrée critiquant à cette occasion les partisans des (déjà !) ultimes tentatives de conciliation en des termes qui, dans l’esprit lyrique de l’époque, sont toujours brûlants d’actualité : « c’est le sang pur et ardent de l’Assemblée wallonne qui la quitte, et ce qui va rester de l’Assemblée wallonne ne sera plus qu’un corps exsangue et sans vie qui pourra encore être traité avec complaisance par la presse nationaliste (comprenez belge unitariste) mais qui aura perdu toute autorité et toute influence. Joli résultat ! C’est la course au suicide sous prétexte d’ « unionisme » ».
(**) L’Assemblée Wallonne a eu une grande influence jusque dans les années vingt mais perdit sa représentativité et sa crédibilité dans les années trente par son aspect académique, ses thèses, très modérées, n’évoluant pas : elle défendra toujours une union belge corrigée par une séparation administrative, et le maintien de la langue française en Flandre – on croirait retrouver le programme du FDF…
(***)
· 1962 et 1963 : Introduction du principe territorial dans la législation régissant l'emploi des langues dans les matières administratives et création de la région de langue allemande. Le territoire de la future Communauté germanophone est ainsi délimité.
· Première réforme de l’Etat (1968 - 1971) : Esquisse des contours d’une autonomie politique. Elle institua une assemblée : « Communauté culturelle allemande », à l’instar des communautés culturelles française et néerlandaise. Les compétences étant exclusivement limitées aux matières culturelles.
· Deuxième réforme de l’Etat 1980 – 1983 : Un nouvel article de la Constitution stipula que la Communauté pouvait voter des décrets dans les matières culturelles, les matières personnalisables, ainsi que les relations internationales et intercommunautaires. En accord avec la Région wallonne, elle a pu à partir de ce moment exercer des compétences régionales. Depuis l’entrée en vigueur de la seconde réforme de l’État, le Conseil est chargé de constituer l’exécutif.
· 31er décembre 1983 : Signature de la loi sur la réforme institutionnelle concernant la Communauté germanophone. Changement de nom de Communauté culturelle en Communauté. Le 30 janvier 1984, le nouveau Conseil de la Communauté germanophone se réunit pour la première fois et élit le premier gouvernement communautaire.
· Troisième réforme de l'Etat (1988-1990) : Transfert des compétences en matière d'enseignement.
· Quatrième réforme de l'Etat (1993 - 1994) : Le système parlementaire belge distingue les compétences de la Chambre et du Sénat. Le Conseil de la Communauté germanophone désigne un de ses membres qui le représente au Parlement fédéral en tant que sénateur de Communauté.
· Loi du 16 juillet 1993 : Les compétences de la Communauté germanophone étendues par l’ajout de la législation qui régit les Centres Publics d’Aide Sociale. Adaptation du système de financement.
· La région de langue allemande constitue un arrondissement électoral à part entière pour les élections européennes.
· Depuis le 1er janvier 1994, la Communauté germanophone est pour la première fois responsable de l’exercice de compétences régionales, à savoir la protection des monuments et des sites (les fouilles archéologiques exceptées). D’autres compétences régionales furent ajoutées en 2000 (la politique de l’emploi) et en 2005 (le contrôle et le financement des communes).
· Le 20 mai 1997, l’article 130 de la Constitution fut élargi à un cinquième point stipulant que le Conseil de la Communauté germanophone régissait à l’avenir par des décrets l’emploi des langues dans l’enseignement.
· Cinquième réforme de l’Etat en 2001, les communes reçurent des moyens financiers plus élevés de la part de l'Etat fédéral. La Communauté germanophone élabore son règlement propre en ce qui concerne le contrôle des dépenses électorales, les communications gouvernementales et le financement complémentaire des partis.
· 2006 : Adhésion à la FUEV
· Juin 2008 – Importante progression du PRO-DG, parti à vocation clairement autonomiste.