Entendu ce matin à la RTB(f)… Alors que curieusement, il prend comme exemple la… fédéralisation de la gestion des aéroports sous forme régionale (et en conséquence son succès indéniable), ce qui n’est pas du tout la même chose, André Antoine annonce que la fédéralisation (en réalité, ici, scission sous forme de communautarisation) de la fédération –amateur, si j’ai bien compris- de football « qui peut-être une bonne chose ».
Je me trompe peut-être, mais je ne suis absolument pas certain qu’on puisse vraiment se réjouir de la « communautarisation » de quoi que ce soit. Le principe dans ce cas étant de mettre l’accent sur les droits personnalisables (donc des personnes), c’est facile en Wallonie, mais à Bruxelles ?
Incohérences verbale ou tromperies ? ?
Pour prendre un exemple récent, ce qui ne serait pas bon pour les allocations familiales seraient bon pour la pratique d’un sport ? Le flou savamment entretenu sur les conséquences du choix de l’un ou de l’autre terme (communautarisation versus régionalisation) nous entraine vers une vision de l’avenir – écrite ou à inscrire dans les esprits - peu gratifiante pour les Wallons puisqu’ils disparaissent dans un ensemble flou. Même le vocabulaire devient schizophrénique… ou manipulatoire, ce qui est le plus probable.
Soyons clair : la communautarisation, c’est la négation de la Wallonie, la régionalisation, c’est sa valorisation.
Le même ministre ajoute qu’un quart ( !) des subsides (sur 146 millions) seront attribués à ce sport (forcément…).« roi ».
N’étant pas du tout « football », je ne vais pas tomber dans une critique facile mais…
Dans « De la démocratie en Amérique », Alexis de Tocqueville décrit une nouvelle forme de domination qui s'ingérerait jusque dans la vie privée des citoyens, développant un autoritarisme « plus étendu et plus doux », qui dégraderait les hommes sans les tourmenter ». Ce nouveau pouvoir, pour lequel, dit-il, « les anciens mots de despotisme et de tyrannie ne conviennent pas », transformerait les citoyens qui se sont battus pour la liberté en « une foule innombrable d'hommes semblables (…) qui tournent sans repos pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, (…) où chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée des autres ».
Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s'associer pour résister, ces hommes remettent alors leur destinée à « un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d'assurer leur jouissance (…) et ne cherche qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance. Ce pouvoir aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il pourvoit à leur sécurité (…) facilite leurs plaisirs (…) Il ne brise pas les volontés mais il les amollit (…), il éteint, il hébète. »
Les anciens Romain utilisaient pour ça une autre expression : « panem et circences » (1)
C'était alors une sorte de prophétie, mais nous y sommes aujourd'hui. C'est ce que Raffaele Simone appelle le « monstre doux » dans le livre « L'Occident vire-t-il à droite ? » (Gallimard 2010). Il s'agit d'un régime global de gouvernement, mais aussi d'un système médiatique, télévisuel, culturel, cognitif, une forme d'ambiance infantilisante persistante qui pèse sur toute la société.
Ce régime s'appuie sur ce qu’il appelle une droite diffuse associée au grand capital national et international des milieux financiers (2) et industriels, puissante dans les médias, intéressée à l'expansion de la consommation et du divertissement qui lui semblent la véritable mission de la modernité, décidée à réduire le contrôle de l'Etat et les services publics, rétive à la lenteur de la prise de décision démocratique, méprisant la vie intellectuelle et la recherche, développant une idéologie de la réussite individuelle, cherchant à museler son opposition, violente à l'égard des minorités, populiste au sens où elle contourne la démocratie au nom de ce que « veut le peuple ».
Il va de soi qu’en Italie, l'administration Berlusconi incarne évidemment cette droite jusqu'à lacaricature. Mais, chez-nous, est-ce bien différent ?
Raffaele Simone traduit cette influence sur la société sous forme de « trois commandements » :
1° Le bonheur réside dans la consommation, l'argent facile. On préfère le gaspillage à l'épargne, l'achat à la sobriété, le maintien de son style de vie au respect de l'environnement.
2° S'amuser. Le travail, est de plus en plus dévalorisé, devient secondaire dans l'empire de la distraction. L'important, c'est le temps libre, les week-ends, les ponts, les vacances, les sorties, les chaînes câblées, les jeux vidéo, les émissions « people ». Même les actualités les plus graves se transforment en divertissement : la guerre d'Irak, le tsunami, les catastrophes naturelles, les drames humains deviennent spectacles, jeux vidéo en temps réel ou feuilletons émotionnels.
Les débats politiques se réduisent à de petites phrases (ou simplement des gestes), parade de « people » (toujours les mêmes !), quand les élus ne sont pas d'anciens sportifs ou encore des miss quelconques… généralement élus sur leur notoriété médiatique (les Bekende Vlamingen évidemment, mais nous n’avons rien à leur envier, pensons aux speakerines ou aux footballeurs.).
Observez comme les choses sont présentées et combien elles vont vite et s’oublient facilement : la crise économique ? La spéculation financière ? Les plans de rigueur ? Les atteintes aux libertés et les collusions entre hommes politiques et milieux d'affaires ? Ce ne sont plus que des épisodes vite oubliés d'un grand « reality show »... comme on dit de nos jours.
3° L'infantilisation des adultes. Le rajeunissement est devenu une industrie lourde. Dans tous les domaines. Y compris celui de la politique.
« Droite anonyme et floue » dit Simone… Chez-nous, il n’y a pas quela droite. Tout l'« l’establishment » (utilise-t-on encore ce terme ?) belge s’y est rallié ! Politiques, médias, cultureux… ont embrayé comme un seul homme dans cette logique de pensée unique et capitalisé sur ce qu’on pourrait appeler un néo-conservatisme belgicain. Néo-conservatisme bien pensant, politiquement correct, tout autant politique qu’économique ou social. Tout plutôt que de se remettre en question et aller à l’encontre d’une voie qui paraît toute tracée dans la logique « Pirenniènne » dont je parlais dans un billet précédent. Tout le monde il est beau, tout le monde, il est gentil, sauf les grands méchants, les séparatistes (baptisés séparatistes » parce que non nationalistes belges) et ceux qui appellent à la raison (souvent les mêmes d’ailleurs).
La critique est facile me rétorquerez vous.
Certes, mais, vous connaissez mes opinions en matière d’évolution institutionnelle. Combien j’ai déjà écrit sur les ratages historiques, sur ceux qu’on aurait pu aisément prévoir.
Mais si vous prenez le recul pour observer notre société et les bévues qui ont été accomplies dans d’autres domaines vous verrez quelles sont les responsabilités écrasantes que portent nos élites dans les malaises actuels ?
Quelques exemples (hors « problèmes dits communautaires ») :
- Ne pas avoir compris la montée en puissance des pays émergents, la Chine, l'Inde, le Brésil, qui s'apprêtent à dominer le monde,
- Ne pas avoir saisi grand-chose aux nouvelles cultures jeunes, hédonistes, individualistes, alternatives ni à la croissance formidable des médias de masse, , d'Internet et du numérique (sauf au pouvoir de la télévision ! La RTB a ainsi grandement contribué à toutes les occasions de chercher à tuer la conscience wallonne)
- avoir refusé de voir l'apparition d'un facteur ethnique dans la sphère politique. Jusque récemment, on a refusé de discuter de l'immigration de masse et des clandestins, laissant penser que l’attitude est laxiste sur ces questions. Ajoutons que, parallèlement, les défenseurs de la laïcité, n'ont pas été clairs dans leur critique de l'islam radical, sur les questions du port du voile et de la visibilité des signes religieux. Ils ont montré le même aveuglement face aux violences urbaines et à l'insécurité (préférant montrer du doigt la France), ne considérant que leurs causes et pas leurs effets. Favorisant ainsi une extrême droite malsaine dont les propos semblent, hélas, plus proches des intérêts immédiats des gens, plus adaptés à l'ambiance générale de l'époque, « plus naturels » en quelque sorte…
Je pourrais aussi parler de la relative nonchalance avec laquelle on anticipe le vieillissement de la population, de ne pas avoir anticipé la critique (dite !) écologique d’un productivisme jugé sans frein, etc… qui sont les bombes à retardement des prochaines années…Tout comme le refus de prendre en considération (en n’étant « demandeurs de rien » officiellement depuis 1999, mais en réalité depuis bien plus longtemps) les positions de la Flandre a amené au blocage politique et au « sauve-qui-peut » actuel. (3)
On est en train de laisser se dilapider un patrimoine unique que l’on aurait pu penser inhérent à l'identité européenne : les droits des travailleurs, la liberté d'association, les libertés publiques, les congés payés, l'assurance-maladie, les retraites, l'enseignement obligatoire, la laïcité de l’Etat, le suffrage universel, les droits des femmes, les services publics, l'égalité devant la loi, la régulation étatique des excès des puissants, etc
Or, il y a encore tant de choses à faire. Réduire les inégalités, qui vont s'aggravant entre les pauvres, les classes moyennes et les très riches ; réguler le capitalisme financier, mettre en place des mesures de solidarité qui aideraient véritablement les plus démunis à s'en sortir, relever le niveau moyen d'instruction et de culture, imposer vraiment l'égalité des hommes et des femmes, assurer l’attractivité des écoles publiques, former une conscience citoyenne, réduire l'impact de la croissance sur l'environnement, etc…
Facile à dire me direz-vous ?
Il ne faut pas rêver. Les antagonismes culturels, les différences de sensibilité entre les Peuples, flamand, bruxellois ou wallon sont beaucoup trop importante que pour arriver à ne fusse qu’un semblant de consensus dans ce non-pays qu’on appelle Belgique.
Ailleurs dans les autres régions de la future ancienne Belgique, je ne sais pas, mais dans une Wallonie maîtresse de son destin, il me semble que sur base des Valeurs que nous partageons, il serait plus facile d’affirmer le rôle de l'Etat dans la régulation des excès du marché et du capitalisme financier. De mettre en place des services publics forts. D’investir dans des universités et des écoles de haut niveau. De défendre radicalement la laïcité contre les intrusions religieuses. D’assurer durablement et sans laxisme la sécurité des citoyens. De soutenir puissamment la recherche. D'appuyer la création de médias et la mutation de télévisions de qualité.
On pourrait ainsi s'inspirer des expériences de la social-démocratie des pays du Nord de l'Europe qui a rompu avec le vieux paradigme de l'assistanat et de l'Etat-providence, pour promouvoir l'émancipation de chaque individu, sans en abandonner aucun, en corrigeant les inégalités sociales. Mais quel changement de paradigme !
Merci à Mike G. qui reconnaîtra l’a publication dont je me suis plus que largement inspiré !
(1) On n’a pas attendu Tocqueville pour le rappeler :
- « C'est là le fond de toute politique, panem et circenses, et l'art de gouverner les peuples se réduit en dernier lieu à l'art d'empêcher qu'ils ne s'ennuient ». (Revue de Paris)
- « J'ai lu l'abbé Galiani. On n'a jamais été si plaisant à propos de famine. Ce drôle de Napolitain connaît très-bien notre nation : il vaut encore mieux l'amuser que la nourrir. Il ne fallait aux Romains que panem et circenses, nous avons retranché panem, il nous suffit du circenses, c'est-à-dire, de l'opéra-comique ». (Voltaire, à madame Necker).
2 (Pensons à l’influence démesurée des obscures agences de notations et l’anonymat des « investisseurs » - terme moins connoté que celui bien plus réel de « spéculateurs » en Bourse)
(3) Contrairement aux résultats du «pseudo-sondage » du Soir publié hier suivant lequel, « selon une majorité d’internautes, le parti nationaliste (N-VA) est pointé sans conteste comme le grand responsable des maux du pays: 42 % pointent le parti de Bart de Wever, alors que 18 % ciblent « les partis flamands » en général. De leurs côtés, les partis francophones s’en tirent plutôt bien. »… Belle confusion entre cause et effet…
draugtor 03/02/2011 18:43
Mike Guillaume 03/02/2011 13:30
Claude Thayse 03/02/2011 13:49
denis dinsart 02/02/2011 11:57
Yves Pierlot 01/02/2011 23:47
Fabrice Leyre 01/02/2011 21:09