Billet repris dans "La Libre Belgique" du 26/10/2010
Mis à jour le 17/11/2010
A lire les réactions épidermiques dans la presse de la capitale (Le Soir, La Libre, etc…) les sorties – à l’occasion des fêtes de Wallonie – de Viseur et d’Etienne montrent que beaucoup n’ont retenu du nationalisme que son versant germanique. On a ainsi vu refleurir à tort et à travers les phrases toutes faites du style : « le nationalisme, c’est la haine des autres », etc…
Dans les heures et les jours qui viennent, nous allons sans nul doute connaître une dramatisation plus forte encore de la situation politique. Drame étant à prendre ici dans son sens théâtral…. Le débat est loin d'être clos et est au contraire essentiel.
A quoi, pourrait bien ressembler un « nationalisme wallon » ?
Je n’aborderai pas le thème de la nation comme concept juridique né à la Révolution française. (*)
La nation est davantage une construction idéologique qu’une réalité concrète, ce qui explique la difficulté de lui donner une définition pleinement satisfaisante. Ce qui (m’a, comme à d’autres…) fait dire qu’il n’y a pas de nation wallonne par comparaison à la très forte identité flamande ou même bruxelloise.
Depuis Renan, pour les tenants d’un humanisme français (**), la conception moderne de la nation dépasse largement le cadre ethnique ou tribal. Elle trouve plutôt sa source dans un ensemble complexe de liens qui fondent le sentiment d’une appartenance commune. Elle est ainsi à la fois extérieure aux individus, en même temps qu’elle est intériorisée (et transmise d’une génération à l’autre). Pour s’imposer, elle suppose également l’existence d’une volonté durable de vivre au sein d’un même ensemble. C‘est une construction politique, dont la fonction est de garantir la cohésion sociale et de faire respecter l’autorité de l’État. Pour ces raisons, l’idée de nation est elle-même liée à l’histoire de chaque pays. Là est la grande erreur des contempteurs de toute identité ou nationalisme wallon. Leurs références sont germaniques ou liées aux dérives historiques des XIXème et XXème siècles.
Si, en France, c’est l’action centralisatrice et unificatrice du pouvoir royal qui a contribué de manière décisive à l’émergence de la nation. Le sentiment national, bien que présent chez une élite restreinte, s’est diffusé assez lentement et une forme « d’identité nationale » l’a précédé.
A contrario, en Allemagne, l’idée de nation s’est développée en l’absence d’un cadre étatique unitaire. L’existence d’une langue et d’une culture communes a permis de concevoir la nation allemande en l’absence de toute unité politique avant 1871. La Flandre a suivi le même processus… Il est piquant de constater aujourd’hui que c’est le même type d’idéologie qui est sous-tendue par le projet (plan B ?) d’état putatif Bruxelles-Wallonie basé sur la langue française cette fois. Or, Comme l’écrivait Renan, « il y a dans l'homme quelque chose de supérieur à la langue : c'est la volonté ».
Il est logique que les attaques les plus virulentes contre le principe « d’identité wallonne », le fait de nommer la Wallonie autrement que « Région wallonne » ou encore contre les dernières sorties parlant de « nationalisme wallon » soient venues de ceux qui nient l’existence de la Wallonie et veulent la noyer dans un nouvel ensemble indifférencié « francophone » après avoir voulu la fondre dans une improbable « nation belge » construite en dépit du bon sens.
Il y a donc bien coexistence (et parfois interpénétration) dans la notion de « nation » de deux concepts distincts. Une « conception française » (Renan, Fustel de Coulanges) et une « conception allemande » (Herder, Fichte).
Herder propose une définition de la Nation fondée sur le sol et une langue commune, et Fichte, dans ses Discours à la nation allemande (1807-1808) insistait sur l’idée de peuple et l’importance de la langue.
A contrario, Ernest Renan, dans sa célèbre conférence de 1882 intitulée « Qu’est-ce qu’une Nation ? », a posé, quant à lui comme critères de l’appartenance nationale, « le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Sa belle expression est souvent reprise : « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours. »
Méfions-nous donc des raccourcis rapides et des arrière-pensées. Le nationalisme wallon est déjà bien en germe. Ce n’est pas un hasard si une fine mouche politique (et il faut avoir beaucoup d’habileté pour survivre au sein d’un parti comme le CdH sans perdre ses repères) ose aujourd’hui utiliser cette expression. Les partis politiques traditionnels sont très à l’écoute de la population. Les réticences de Madame Milquet ne sont que de pure forme et destinées à .noyer le poisson. .
Les caractéristiques que Viseur donne de ce nationalisme wallon, sont celles traditionnelles du mouvement wallon : « une forte cohésion sociale autour d’un modèle de développement solidaire. Le passé récent illustre bien cette logique, cette force tranquille d’une nation wallonne. » Tout le contraire du nationalisme flamand ou belge basé sur la prétendue supériorité d’un groupe social sur les autres.
Être partisan d’un nationalisme wallon, est-ce considérer que la Wallonie doit entrer – comme le laissent entendre certains, entrer à reculons dans une nouvelle organisation ? Là aussi, épousons les conclusions de Renan : « (…) laissons passer le règne des transcendants ; sachons subir le dédain des forts. Le moyen d'avoir raison dans l'avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. ».
« Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu'exige l'abdication de l'individu au profit d'une communauté, elle est légitime, elle a le droit d'exister. » N’est-ce pas l’image des Wallons et de la Wallonie ?
(*) L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » En application de ce principe, la Nation est devenue la source des différents pouvoirs, se substituant au droit divin qui légitimait le pouvoir monarchique.
La Nation, détentrice de la Souveraineté, c’est le peuple constitué en corps politique, dont la volonté est mise en œuvre par des représentants élus, sans qu’aucun corps intermédiaire ne puisse y faire obstacle. La nation modifie par ailleurs la conception de l’État en le soumettant au principe démocratique.
(**) J’aime à rappeler cette phrase d’une très grande lucidité de François Perin qui s’est un jour exprimé en disant que « les Wallons ont acquis la philosophie des Droits de l’Homme à la Révolution française et que c’est irréversible ».
A lire, en complément : **** Les nations, salut de l'humanité ? **** de Laurent Pinsolle
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